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dait plus comme des provinces étrangères mais comme un bien qu’il avait perdu, qu’on lui avait ravi, et que le droit de la guerre devait lui restituer.

Comme les flammes d’un incendie mal éteint renaissent plus furieuses, ainsi Mithridate, renouvelant ses entreprises, à la tête de troupes plus nombreuses (10), marche de nouveau vers l’Asie, cette fois avec toutes les forces de son royaume, dont il avait couvert la mer, la terre et les fleuves. Cyzique[1], ville fameuse, est, par sa forteresse, ses remparts, son port et ses tours de marbre, l’ornement du rivage asiatique. C’est pour lui comme une autre Rome, contre laquelle il tourne tous les efforts de ses armes ; mais les habitants sont encouragés dans leur résistance par un messager qui leur annonce l’approche de Lucullus. Porté sur une outre qu’il gouvernait avec ses pieds (11), cet émissaire avait, à la faveur d’un stratagème aussi audacieux, passé au milieu des vaisseaux ennemis, qui l’avaient pris de loin pour un monstre marin. Bientôt la fortune change ; la longueur du siège engendre dans le camp du roi la famine, et la famine la peste ; Mithridate se retire, Lucullus le suit, et fait de ses troupes un tel carnage, que les eaux du Granique[2] et de l’Ésape[3] en sont ensanglantées. Le rusé monarque, connaissant l’avarice des Romains[4], ordonne à ses soldats en fuite de disperser les bagages et l’argent, pour retarder la poursuite des vainqueurs[5]. Sa retraite n’est pas plus heureuse sur mer que sur terre. Sa flotte, composée de plus de cent vaisseaux, et chargée d’un immense appareil de guerre, est assaillie par une tempête dans la mer de Pont, et si horriblement fracassée qu’elle n’offrait plus que les débris d’une bataille navale. On eût dit que, d’intelligence avec les flots, les orages et les vents, Lucullus leur avait donné à consommer la défaite du roi.

Toutes les forces de ce puissant monarque étaient anéanties ; mais les revers augmentaient son courage. Il se tourna donc vers les nations voisines ; et il enveloppa dans sa ruine presque tout l’Orient et le Septentrion. Il sollicita les Ibériens, les peuples de la mer Caspienne, les Albaniens et les deux Arménies. La fortune cherchait ainsi de tous côtés à Pompée, son favori[6], des sujets de renommée, de gloire et de triomphe. Voyant l’Asie ébranlée et embrasée de nouveau, et les rois s’y succéder en foule, il sentit qu’il n’y avait pas de temps à perdre. Prévenant la jonction des forces de tant de nations, le premier de tous les généraux Romains, il passa l’Euphrate sur un pont de bateaux (12) ; il atteignit le roi fugitif au milieu de l’Arménie, et, tant était grande sa fortune ! il l’accabla sans retour dans une seule bataille.

L’action s’engagea pendant la nuit, et la lune y prit part. En effet, comme si elle eût combattu pour nous, elle se montra derrière les ennemis et en face des Romains ; de sorte que les soldats du roi de Pont, trompés par la grandeur démesurée de leurs propres ombres, dirigeaient leurs corps sur elles en croyant frapper leurs ennemis. Enfin, cette nuit consomma la ruine de Mithridate (13) ;

  1. Ville de la Mysie, située dans une ile de la Propontide, maintenant jointe au contument par des atterrissements.
  2. Fleuve de la Mysie, qui se jette dans la Pronmande.
  3. Petit fleuve, qui se jette la même mer.
  4. V. Tacit. Agric. xxx, 10.
  5. V. Cic. protege Mamlia, c. 8 et 9.
  6. V. Lucain, l. 8, v. 730.