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dans la province entière, chez les Édues et chez leurs alliés (9). Elle devait observer la direction que prendraient les ennemis. Cette cavalerie, ayant poursuivi leur arrière-garde avec trop d’ardeur, en vint aux mains avec la cavalerie helvète dans un lieu désavantageux et éprouva quelque perte. Les Helvètes, fiers d’avoir dans cette rencontre repoussé avec cinq cents chevaux un si grand nombre de cavaliers, nous attendirent plus hardiment, et nous inquiétèrent quelquefois avec leur arrière-garde. César retenait l’ardeur de ses soldats, et se contentait pour le moment de s’opposer aux rapines, au pillage et aux dévastations de l’ennemi. On fit route ainsi durant quinze jours, sans que l’arrière-garde des Helvètes fût séparée de notre avant-garde de plus de cinq ou six mille pas.

XVI. Cependant César pressait chaque jour les Édues de lui livrer le blé qu’ils lui avaient promis ; car le climat froid de la Gaule (10), située au nord, comme il a été dit précédemment, faisait non seulement que la moisson n’était pas parvenue, dans les campagnes, à sa maturité, mais que le fourrage même y était insuffisant ; quant au blé qu’il avait fait charger sur la Saône, il pouvait d’autant moins lui servir, que les Helvètes s’étaient éloignés de cette rivière, et il ne voulait pas les perdre de vue. Les Édues différaient de jour en jour, disant qu’on le rassemblait, qu’on le transportait, qu’il était arrivé. Voyant que ces divers discours se prolongeaient trop, et touchant au jour où il fallait faire aux soldats la distribution des vivres, César convoqua les principaux Édues, qui étaient en grand nombre dans le camp, entre autres Diviciacos et Liscos. Ce dernier occupait la magistrature suprême que les Édues appellent vergobret (11), fonctions annuelles et qui confèrent le droit de vie et de mort. César se plaint vivement à eux de ce que, ne pouvant acheter des vivres ni en prendre dans les campagnes, il ne trouve, dans un besoin si pressant et presque en présence de l’ennemi, aucun secours dans des alliés ; l’abandon où ils le laissaient était d’autant plus coupable, que c’était en grande partie à leur prière qu’il avait entrepris la guerre.

XVII. Enfin Liscos, ému par les paroles de César, déclare ce qu’il avait vu jusque-là : « qu’il y avait quelques hommes dans le plus grand crédit auprès du peuple et dont l’influence privée l’emportait sur celle des magistrats ; qu’au moyen de discours séditieux et pervers, ils détournaient la multitude de fournir le blé qu’on s’était engagé à livrer, disant que s’ils ne pouvaient obtenir la suprématie sur la Gaule, ils devaient du moins préférer la domination des Gaulois à celle des Romains ; qu’on devait être certain que ceux-ci, une fois vainqueurs des Helvètes, dépouilleraient de leur liberté les Édues et les autres peuples de la Gaule ; que ces mêmes hommes informaient l’ennemi de nos projets et de tout ce qui se passait dans le camp ; qu’il n’avait pas le pouvoir de les réprimer ; qu’il savait bien à quel péril l’exposait la déclaration que la nécessité l’avait contraint à faire à César, et que telle avait été la cause du long silence qu’il avait gardé. »