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VIE DE SALLUSTE.

tent sur ce qui la concernent sont trop décousus pour pouvoir suivre la filiation de cette maison. On peut seulement assurer, malgré le sentiment de quelques auteurs, que les Salluste n’étaient pas d’origine patricienne, mais plébéienne seulement. Leur maison était bonne, quoique sans illustration : du moins ne voit-on pas qu’aucun des ancêtres de l’historien ait avant lui possédé quelques-unes des grandes magistratures de Rome, qui seules donnaient la noblesse romaine aux familles souvent fort anciennes et fort nobles d’ailleurs. Il est probable cependant que le temps nous a dérobé la connaissance de ce fait, puisque Salluste se glorifiait assez de sa noblesse pour se croire en droit de mépriser par là les hommes nouveaux. « Il a mauvaise grâce à me reprocher ma naissance, dit le faux Cicéron ; ne dirait-on pas, à l’entendre parler, qu’il descend des Scipions ou des Métels ? S’il en était ainsi, ils auraient bien à rougir d’un pareil successeur. » Peu après il ajoute : « Sont-ce ses ancêtres qui le rendent si insolent ? beau sujet de vanité s’ils ont vécu comme lui. »

Je ne rechercherai point si le nom de Salluste vient du mot sel ou du mot salut ; ni si ce nom doit s’écrire par une ou par deux l. L’une de ces questions me parait trop mal fondée, et l’autre trop frivole pour les agiter ici. On peut consulter ici Jerôme Wolf et Gérard Vossius. Je dirai seulement, sur la seconde question, que toutes les inscriptions antiques autorisent l’orthographe par deux l, entre autres une inscription trouvée depuis peu dans les fossés de la ville de Modène ; ce qui n’empêche pas qu’anciennement ce nom n’ait dû s’écrire par une seule l, puisque les Romains n’ont jamais fait usage des consonnes doubles jusqu’au temps d’Ennius, qui le premier les introduisit dans l’écriture latine, à l’imitation des Grecs. D’autres ont mis en doute si Salluste était le vrai nom de notre historien, et Crispe son surnom, ou au contraire ; car on le trouve indifféremment nommé Salluste Crispe, ou Crispe Salluste, chez tous les anciens qui parlent de lui. M. Leclerc semble pencher vers cette dernière opinion ; et Cortius l’embrasse formellement dans son édition de cet auteur ; mais ils n’ont pas fait attention l’un et l’autre que les Latins ne se faisaient aucun scrupule de renverser les noms propres lorsque l‘harmonie de la phrase le demandait, et que d’ailleurs le nom de Crispe (frisé) porte tout à fait avec lui le caractère d’un surnom, selon la méthode commune aux Romains de tirer leurs surnoms de quelque habitude du corps. Le fait semble d’ailleurs assez décidé par la terminaison en ius du mot Sallustius, qui est celle de tous les noms de famille chez les Latins ; les autres terminaisons étant celles des surnoms qui distinguent les branches. Elle est patronimique, répondant au mot semblable de la langue grecque υἱός (filius) ; selon l’usage commun à presque tous les peuples, de former les noms propres et de famille sur celui du père et de l’auteur de la race.

Salluste fut fils de Caius Sallustius. On ignore le nom de sa mère ; et, quoiqu’on ne sache rien de particulier sur son père, je crois pouvoir annoncer qu’il était homme de mérite et de probité, puisque le satirique, qui s’est caché sous le nom de Cicéron, très-résolu à n’épargner à Salluste aucun genre d’amertume, ne reproche rien autre chose à son père, que d’être inexcusable envers l’état, pour lui avoir engendré un si mauvais citoyen. « Je ne veux rien dire de votre enfance, ajoute-il, car ce serait peut-être accuser votre père qui en a dû prendre soin. » Ce fut dans Rome qu’il la passa ; son père le fit élever dans cette grande ville, et le détail qu’il nous a laissé de la vie qu’il y mena pendant sa jeunesse, ne respire nullement la régularité des mœurs ; c’est-à-dire, en un mot, qu’il poussa à l’extrême le genre de vie assez ordinaire aux jeunes gens, surtout dans une capitale peuplée et corrompue. Excessif dans sa dépense, licencieux dans ses discours autant que dans ses actions, adonné aux femmes avec emportement, poussant même au-delà le raffinement de la débauche, après avoir commencé par porter lui-même la complaisance assez loin, je ne déciderai pas s’il est plus blâmable d’avoir mis à profit la beauté de sa jeunesse, ou d’avoir poussé ses passions au-delà du temps où l’on pourrait les excuser sur la fougue de l’âge. La satire l’épargna moins encore sur cet article que sur aucun autre. « Elle lui reprocha que tout le gain que, dans sa jeunesse, il pouvait tirer de ses débauches, ne pouvait suffire à ses excessives dissipations ; mais quand il eut passé l’âge de servir aux passions d’autrui, il voulut avoir sa revanche sur les autres ; et qu’ainsi, de quelque côté qu’il se soit présenté, il n’y a pas eu moins d’infamie dans son gain que dans sa dépense, et qu’il a rendu comme il avait pris. »

En même temps que Salluste se jetait dans de folles dépenses, il négligeait le moyen le plus honnête d’acquérir, qui est celui de prendre soin de son bien, et traitait les occupations qui peuvent y avoir rapport, d’emploi servile. Son extrême avidité pour amasser de l’argent n’avait pour but que l’envie de le dépenser avec profusion. Il avait pour maxime que « l’argent qu’on garde dans un coffre ne vaut pas mieux que celui qui est dans une mine inconnue. » Sa fortune n’était pas assez opulente pour être longtemps soutenue contre un pareil genre de vie. Il se vit contraint à vendre sa maison paternelle, du vivant même de son père, qui mourut peu après. « Ce fut de regret d’avoir vu son fils s’emparer de sa succession de son vivant, » dit le même déclamateur que j’ai déjà cité ; et cette réflexion maligne, qu’il ajoute de son chef, et qui