Page:Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que le tien se perdrait dans les petites affaires ; les grands succès sont le prix des grands travaux.

Il te faut donc pourvoir à ce que le peuple, que corrompent les largesses (19) et les distributions de blé, ait des occupations qui lui ôtent le loisir de faire le malheur public. Veille aussi à ce que la jeunesse prenne le goût des vertus et de l’application, et perde celui des folles dépenses et des richesses. Ce but sera atteint si tu ôtes à l’argent, le plus redoutable des fléaux, son usage et son pouvoir.

Souvent, en effet, en réfléchissant en moi-même aux moyens par lesquels les hommes les plus fameux avaient fondé leur grandeur ; en recherchant comment les peuples et les nations avaient prospéré sous quelques chefs capables, et ensuite quelles causes avaient amené la chute des royaumes et des empires les plus puissants, j’ai constamment trouvé les mêmes vertus et les mêmes vices : chez les vainqueurs le mépris des richesses, chez les vaincus la soif de l’or. Et l’on comprend bien qu’un homme ne peut s’élever au-dessus des autres et se rapprocher des dieux, si, dédaignant la cupidité et les plaisirs des sens, il n’est tout entier à son âme, non pour la flatter, pour céder à ses fantaisies, pour l’amollir par une funeste complaisance, mais pour l’exercer par le travail, la patience, les bonnes maximes et les actions de vigueur.

VIII. En effet, élever un palais ou une maison de plaisance, l’orner de statues, de tapis et d’autres ouvrages des arts, et faire en sorte que tout y attire plus les regards que nous-mêmes, ce n’est pas tant nous honorer par les richesses que les déshonorer par nous. Quant à ceux qui ont l’habitude de se remplir le ventre deux fois par jour, et de ne passer aucune nuit sans courtisanes, dès qu’ils ont laissé s’abrutir dans cette servitude l’âme qui est faite pour commander, c’est en vain qu’ils veulent ensuite tirer d’une faculté énervée et boiteuse ce que l’on obtient d’une faculté exercée : leur folie les perd eux et presque tout avec eux. Mais ces maux et tous les autres disparaîtront, avec le pouvoir de l’argent, dès que les magistratures et les autres charges les plus recherchées cesseront de se vendre.

Il faut en outre pourvoir à la sûreté de l’Italie et des provinces ; et cela me semble facile ; car ce sont les mêmes hommes qui d’un seul coup font une double dévastation, en abandonnant leurs demeures et en s’emparant par force de celle des autres, Empêche aussi que le service militaire ne soit, comme il l’est encore, injustement ou inégalement réparti, puisque les uns servent pendant trente années et les autres point du tout. Je voudrais enfin que le blé, qui jusqu’ici a été la récompense de la fainéantise, fût distribué dans les colonies et dans les villes municipales aux vétérans qui se seraient retirés dans leurs foyers après avoir servi le temps voulu.

Je t’ai exposé aussi brièvement que possible des avis qui m’ont paru devoir être utiles à la république et à ta gloire. Peut-être aussi n’est-il pas hors de propos de dire un mot de mes motifs. La plupart des hommes possèdent ou se piquent de posséder assez de lumières pour juger ; et tous, a vrai dire, ont l’esprit fort empressé dès qu’il s’agit de blâmer les actions ou les paroles d’au-