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ficile de ramener à un même niveau le crédit de tous (car aux uns le mérite de leurs ancêtres a laissé de la gloire, des honneurs, des clients, et les autres ne sont pour la plupart que des parvenus de la veille), fais en sorte que leur vote soit dégagé de toute crainte. Par là, sûr du secret, chacun s’aimera mieux que le pouvoir d’un autre. Car la liberté est également chère aux bons et aux méchants, aux braves et aux lâches ; mais la plupart des hommes, dans leur aveuglement, l’abandonnent par peur, et, sans attendre l’issue d’un combat incertain, se soumettent par lâcheté au joug qu’on n’impose qu’aux vaincus.

Il est donc, selon moi, deux moyens de raffermir l’autorité du sénat : c’est d’augmenter le nombre de ses membres (13) et d’y établir le vote par scrutin secret. A l’abri du scrutin, les opinions s’exprimeront avec plus de liberté ; et par l’augmentation du nombre de ses membres on retirera de ce corps plus de secours et de services. En effet, dans ces derniers temps, les sénateurs, les uns appelés à siéger dans les tribunaux, les autres distraits par leurs affaires privées et par celles de leurs amis, ont rarement assisté aux délibérations publiques ; quoique à vrai dire, ce ne soit pas tant ces occupations qui les en ont écartés, que l’insolence de ceux qui y sont les maîtres. Quelques nobles, avec les sénateurs dont ils ont grossi leur faction, approuvent, condamnent, ordonnent, dirigent tout à leur fantaisie. Mais dès que le nombre des sénateurs aura été augmenté et que l’on votera au scrutin secret, il faudra bien qu’ils se dépouillent de leur orgueil, en se voyant obligés d’obéir à ceux que naguère ils menaient avec tant de tyrannie.

XII. Peut-être, César, après avoir lu ceci, me demanderas-tu combien de membres je voudrais ajouter au sénat ; comment je répartirais entre eux des fonctions nombreuses et variées ; et puisque je propose de confier l’administration de la justice à tous ceux de la première classe, quelle serait la limite des différentes juridictions et le nombre de juges que chacune exigerait.

Il ne m’eût pas été difficile de te répondre en détail sur tout cela ; mais d’abord j’ai cru devoir m’occuper du plan général, et t’en démontrer les avantages. Si tu le prends pour point de départ, le reste ira de soi-même. Je veux ne présenter que des vues sages et surtout applicables ; car, si mes conseils te réussissent, il ne peut que m’en revenir de l’honneur ; mais mon plus vif désir c’est que, de quelque manière que ce soit, et le plus tôt possible, on vienne en aide à la république. La liberté m’est plus chère que la gloire ; et je te prie, je te conjure, toi le plus illustre de nos généraux, toi le vainqueur des Gaules, de ne pas permettre que le grand et invincible empire du peuple romain tombe de vétusté ou s’écroule au milieu de nos discordes.

Assurément, si ce malheur arrivait, tu ne pourrais plus trouer ni le jour, ni la nuit, un instant de repos : agité dans tes insomnies, furieux, hors de toi, tu serais emporté par un égarement funeste. Car je tiens pour vrai qu’une puissance divine surveille les actions de tous les