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les moyens de régénérer et de réformer le peuple, je passe à ce que tu dois faire, selon moi, à l’égard du sénat. Dès qu’avec l’âge ma raison se fut développée, j’exerçai assez peu mon corps aux armes et à l’équitation, mais j’appliquai mon esprit à l’étude, conservant ainsi au travail la partie de mon être que la nature avait douée de plus de vigueur. Or, tout ce que j’ai appris dans ce genre de vie par mes lectures et mes conversations, m’a convaincu que tous les royaumes, toutes les cités, toutes les nations, ont constamment prospéré tant que les sages conseils y ont prévalu ; mais qu’une fois corrompus par la faveur, la crainte ou la volupté, leur puissance a été bientôt affaiblie ; ensuite l’empire leur a été ravi, et enfin ils sont tombés dans la servitude.

Il m’est de même bien démontré que plus un homme est au dessus de ses concitoyens par le rang et le pouvoir, plus il prend à cœur le bien public. En effet le commun des citoyens ne gagne au salut de l’état que la conservation de sa liberté ; mais celui qui par son mérite s’est procuré des richesses, des distinctions, des honneurs, dès que la république ébranlée éprouve la moindre agitation, il faut qu’il dévoue son esprit à des soucis et à des travaux sans nombre : outre sa liberté, il a sa gloire, il a sa fortune à défendre : il s’empresse, il est à la fois partout : plus, dans les temps heureux, il a été florissant, plus, dans les revers, il ressent d’amertume et d’anxiété. Lors donc que le peuple obéit au sénat, comme le corps à l’âme, et qu’il exécute ses décisions, c’est au sénat d’avoir de la prudence, peu importe que le peuple soit plus ou moins habile. Aussi nos ancêtres accablés sous le poids des guerres les plus rudes ; quand ils n’eurent plus ni chevaux, ni soldats, ni argent, ne se lassèrent jamais de disputer l’empire les armes à la main. Ni l’épuisement du trésor, ni la force de l’ennemi, ni le mauvais succès, rien ne rabaissa leur grande âme jusqu’à l’idée qu’ils pussent ne pas garder, tant qu’il leur resterait un souffle de vie, ce qu’ils avaient conquis par leur courage. Et c’est par leur vigueur dans les conseils, bien plus que par leur bonheur dans les armes, qu’ils ont opéré ces grandes choses. Car pour eux la république était une, et tous veillaient sur elle ; il n’y avait de ligue que contre ses ennemis : et chacun employait ses talents ou ses forces pour la patrie, non pour son ambition personnelle.

De nos jours, au contraire, quelques nobles dont l’âme est pleine de mollesse et de lâcheté, qui ne connaissent ni les fatigues, ni l’ennemi, ni la guerre, forment dans l’état une faction compacte et gouvernent insolemment tous les peuples. Aussi le sénat dont la sagesse autrefois raffermissait la république chancelante, maintenant opprimé, flotte çà et là, au gré des caprices d’autrui, décrétant un jour une chose, la lendemain une autre ; et c’est d’après la haine et l’arrogance de ceux qui dominent, qu’il estime le bien ou le mal public.

XI. Si tous les sénateurs jouissaient d’une égale indépendance, ou si le mode de voter était plus secret, l’état aurait plus de force et la noblesse moins d’influence. Mais, comme il est dif-