Page:Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

projet que de te mettre à couvert des attaques de tes ennemis, et de retenir, malgré l’opposition d’un consul malveillant (2), les marques de l’estime du peuple, ce serait une pensée trop au-dessous de ta grande âme. Mais, si tu as toujours ce même courage qui débuta par abattre les factions des nobles ; qui, délivrant le peuple d’un dur esclavage, le rendit à la liberté ; qui, durant ta préture (3), dissipa sans armes tes ennemis armés, et qui, au dedans et au dehors, accomplit tant et de si grandes choses, que tes ennemis n’osent se plaindre que de ta grandeur, j’espère que tu liras avec plaisir ce que je vais dire sur l’administration générale de la république, où certainement tu ne trouveras rien qui ne soit vrai, ou du moins qui n’approche fort de la vérité.

III. Puisque Pompée, soit par travers d’esprit, soit par suite de cette jalousie qui lui a tout fait sacrifier au désir de te nuire (4), est tombé jusque-là qu’il a mis, pour ainsi dire, les armes aux mains des factieux, c’est à toi de te servir des mêmes choses par lesquelles il a ébranlé la république, pour la raffermir. Son premier ton a été de livrer à quelques sénateurs la haute direction des impôts, des dépenses, du pouvoir judiciaire ; quant au peuple, à qui auparavant appartenait la souveraineté, il l’a soumis à des lois iniques, et l’a laissé dans la servitude. Le droit de judicature, il est vrai, a été, comme par le passé, dévolu aux trois ordres ; mais ces mêmes factieux gouvernent, donnent et ôtent à leur gré ; ils oppriment l’innocent, ils élèvent aux honneurs leurs créatures ; point de crime, point d’infamie ou de bassesse qui leur coûte pour arriver au pouvoir ; ils pillent, ils volent tout ce qui leur convient ; enfin, comme dans une ville prise d’assaut, ils ne reconnaissent de lois que leur caprice et leur passion.

Et je ressentirais, je l’avoue, moins de douleur, s’ils devaient à leur bravoure et à la victoire ce pouvoir qu’ils ne savent exercer qu’en opprimant ; mais ces lâches, qui n’ont de force et de courage que dans la langue, abusent insolemment d’une domination qu’ils tiennent du hasard et de la mollesse d’autrui. Car enfin, quelle sédition, quelle guerre civile a détruit tant et de si illustres familles ? quel vainqueur a jamais montré tant de violence et tant d’emportement ?

IV. L. Sylla, a qui dans sa victoire tout était permis par le droit de la guerre, comprenait que la ruine de ses ennemis affermirait son parti ; cependant, après avoir abattu quelques têtes, il aima mieux contenir le reste par les bienfaits que par la crainte. Mais aujourd’hui, grands dieux, un Caton, un Domitius et les autres de cette faction, ont fait massacrer comme des victimes quarante sénateurs (5) et une foule de jeunes gens de la plus belle espérance ; et encore la rage implacable de ces hommes n’a pas été assouvie par le sang de tant de malheureux citoyens : ni l’abandon des orphelins, ni l’âge avancé des pères et des mères, ni les gémissements des maris, ni la désolation des épouses, rien n’a pu fléchir ces âmes inhumaines ; loin de là, sévissant et accusant chaque jour avec plus de cruauté, ils oui dépouillé les uns de leur dignité (6) et chassé les autres de leur patrie (7).

Et parlerai-je de toi, César, de toi dont ces