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barry et de ses vils sectateurs n’était en général composé que de gens honnêtes, il se bornait à désirer tout ce qui pouvait en hâter le moment, mais ne formait à cet égard aucunes intrigues. Il n’en était pas de même du vil parti qui la soutenait : accoutumé aux menées sourdes, à des intrigues basses et enveloppées, il était déterminé à les employer dans une occasion réellement intéressante. On entoura donc les médecins, on les chambra ; on fit envisager aux honnêtes, ou à ceux qu’on croyait tels, combien le roi avait été frappé de l’idée de cette troisième saignée, combien il se croirait malade s’il se la voyait faire, et quel était le danger de la peur pour un homme de cette faiblesse et de cette pusillanimité. On parlait plus clair à ceux que l’on croyait moins honnêtes, et on leur montrait que la troisième saignée allait faire recevoir les sacrements, renvoyer Mme  Dubarry, et par conséquent qu’ils s’en feraient, en l’ordonnant, une ennemie irréconciliable, car on ne mettait jamais en doute qu’elle ne revint bientôt après. Les Dubarry, les d’Aiguillon, les d’Aumont, les Richelieu, les Bissy, employaient leur éloquence, mettaient en jeu tous leurs moyens pour persuader la Faculté, et en étaient venus à bout. La médecine de Bordeu et de Lorry est assez complaisante, et se prête volontiers aux fantaisies des malades. Les conseils des courtisans leur firent en cette occasion un grand effet ; ils renoncèrent à reparler de cette saignée. Lemonnier était trop politique pour ne pas, dans cette circonstance, être de l’avis des autres ; Lassonne et Lieutaud, déterminés à renoncer à cette troisième saignée, remirent pourtant après la seconde saignée à en prononcer. Les chirurgiens furent, comme toujours, de l’avis des médecins, et il fut question de procéder à la saignée qu’on avait ordonnée à midi. Le parti qui désirait tous les moyens qui feraient chasser Mme  Dubarry et tous ses plats courtisans (et j’étais un des plus actionnés dans ce parti) s’efforçait de savoir exactement tout ce qui se faisait dans l’autre, mais se bornait à cela. La prudence lui interdisait toutes démarches ; car le renvoi de cette femme étant nécessairement lié à un plus grand danger du roi, il eût été maladroit et dangereux de rien montrer de l’envie qu’on en avait. La lâcheté des médecins qui les avait fait renoncer à l’idée d’une troisième saignée si la seconde ne produisait pas un