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aux siens, est-il besoin d’en avertir ? de pareils récits et les turpitudes mêmes où ils font passer ont un sens sérieux : la nécessité et la légitimité de 89 sont au bout, comme une conséquence irrécusable. La scène où l’on réveille Louis XVI est le contre-coup fatal de celles où, quinze ans auparavant, on suivait la fin honteuse de Louis XV. L’enseignement historique ressort avec toute sa gravité. C’est dans cette conviction qu’en livrant ces pages au public, nous sommes assuré de ne manquer en rien ni à la mémoire ni à la pensée de celui qui les a écrites.

Nous reproduisons la copie qui est entre nos mains, sans chercher à y apporter même la correction, ni à plus forte raison, l’élégance. M. Lacretelle, qui fut attaché au duc de Liancourt, comme secrétaire intime pendant les premières années de la Révolution, a raconté, dans un intéressant chapitre de ses Dix années d’épreuves, comment on vivait à Liancourt, en cette sorte de paradis terrestre, et quelles occupations rurales, bienfaisantes ou littéraires y variaient les heures : « Après de laborieuses recherches, écrit M. Lacretelle, après avoir dépouillé une vaste et touchante correspondance, il (le duc de Liancourt) rédigeait ses Mémoires[1], les soumettait à ma critique, à ma révision. J’avoue que ce fut d’abord pour moi une torture que de chercher des embellissements à un travail tout uni, mais parfaitement conforme au sujet. Mon style me paraissait à moi-même trop ambitieux et trop fleuri. Je voyais bien que l’auteur en portait tout bas le même jugement. Il me dit un jour : Ma prose fait tache dans la vôtre. Ce compliment plus ou moins sincère fut pour moi un avertissement d’user avec réserve de mon métier de polisseur. Plus j’y mis de discrétion et d’économie, et mieux nous nous entendîmes. » Nous ne nous sommes pas même cru en droit de nous permettre ce soin si sobre ; à part un ou deux endroits où la copie était

  1. Ils ont, par malheur, été détruits.