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« Bonjour,… monsieur, vous ne me reconnaissez point ! Je suis cet enfant de Genève dont vous voulûtes bien être parrain dans le temps. J’étais bien petit alors, et je ne suis pas plus grand aujourd’hui ; néanmoins je ne vous ai point oublié, et c’est pourquoi, bien que je n’aie rien à vous dire, je n’éprouve pas que le silence soit l’expression convenable de la bonne amitié que je vous porte et de la reconnaissance que je vous ai vouée, à vous et à M. de Maistre, mon autre parrain[1].

« Que vous dirai-je donc, monsieur, n’ayant rien à vous dire ? Je vous dirai que M. R… m’a apporté des compliments que vous lui aviez remis pour moi et qui m’ont fait un bien grand plaisir. Il avait eu l’avantage. M. R…, de vous aller voir. Sur quoi je me suis informé auprès de lui de choses qui me tiennent à cœur. Devinez lesquelles ? vous ne le pourriez pas. « Si vous êtes abordable, si vous êtes un homme avec lequel un provincial, qui irait à Paris, pourrait, tel quel, au coin du feu, s’entretenir bonnement, sans lorgnon ni manchettes ; si vous êtes, etc., etc. » Sur tous ces points, M. R… m’a édifié si bien, et tout s’est trouvé être tellement à mon gré, qu’il n’y a aucun doute que je me promets d’aller quelque jour frapper à votre porte, monsieur, et vous demander la faveur d’un bout de soirée employé en causeries. Comme j’ai les yeux dans un état misérable, et que les docteurs inclinent de plus en plus vers un temps de repos complet et récréatif, j’espère les amener à m’ordonner de faire une pointe en Angleterre et un séjour à Paris que je n’ai pas revu depuis 1820 et que j’aimerais

  1. C’est bien à M. Xavier de Maistre, et à lui seul, que convient ce titre de parrain que lui donnait Topffer. C’est à M. de Maistre que nous dûmes nous-même de mieux fixer notre attention sur celui qu’il adoptait si ouvertement. M. de Maistre, qui vit à cette heure en Russie et qui s’y défend de son mieux, dit-il, contre l’âge et le climat, octogénaire comme le père de Topffer, aura eu la douleur, lui aussi, de voir disparaître ce filial héritier.