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derniers élus, qu’est-ce donc que M. de Rémusat, M. Vitet, M. Mérimée, sinon des représentants eux-mêmes, et des plus distingués, de ces générations auxquelles M. de Vigny ne les croit point étrangers sans doute ? Ce n’est donc plus à de grands intervalles, mais en quelque sorte coup sur coup, que l’Académie leur a ouvert ses rangs. Elle est tout à fait hors de cause, et on n’en saurait faire qu’une question de préséance entre eux.

Une omission éclatante s’offrait au milieu du tableau que M. de Vigny venait de tracer de notre régénération littéraire, il avait négligé M. de Chateaubriand ; M. Molé s’en est emparé avec bonheur, avec l’accent d’une vieille amitié et de la justice ; il a ainsi renoué la chaîne dont le nouvel élu n’avait su voir que les derniers anneaux d’or.

Il y a longtemps qu’on ne parle plus du cardinal de Richelieu à l’Académie, lui que pendant plus d’un siècle on célébrait régulièrement dans chaque discours : cette fois la rentrée du cardinal a été imprévue, elle a été piquante ; Cinq-Mars en fournissait l’occasion et presque le devoir. M. Molé n’y a pas manqué ; le ton s’est élevé avec le sujet ; la grandeur méconnue du cardinal était vengée en ce moment non plus par l’académicien, mais par l’homme d’État. Je ne veux pas épuiser l’énumération : le morceau sur l’Empereur à propos de la Canne de jonc, le morceau sur la Terreur à propos des descriptions de Stello, ont été vivement applaudis. L’éloge donné en passant à l’Histoire du Consulat de M. Thiers a paru une délicate et noble justice. En un mot, le tact de M. Molé a su, dans cette demi-heure si bien remplie, toucher tous les points de justesse et de convenance : son discours répondait au sentiment universel de l’auditoire, qui le lui a bien rendu.

En parlant avec élévation et chaleur du sentiment de l’admiration, de cette source de toute vie et de toute grandeur morale, M. Molé s’est appuyé d’une phrase que M. de Vigny a mise dans la bouche du capitaine Renaud, pour conclure,