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qui compromet l’avenir de toutes, même de celle qui est réputée à bon droit son chef-d’œuvre. Le langage de M. Étienne, quand il parle en vers, est facile, coulant, élégant, comme on dit, mais d’une élégance qui, sauf quelques vers heureux[1], devient et demeure aisément commune. Ce manque habituel de vitalité dans le style, ce néant de l’expression a beau se déguiser à la représentation sous le jeu agréable des scènes, il éclate tout entier à la lecture. Le faible ou le commun, qui se retrouve si vite au delà de la première couche chez cet auteur spirituel, a été, en général, l’écueil de la littérature de son moment. Que d’efforts il a fallu pour s’en éloigner et remettre le navire dans d’autres eaux ! Il n’a pas suffi pour cela de faire force de rames, on a dû employer les machines et les systèmes. Doctrinaires et romantiques y ont travaillé à l’envi ; ils y ont réussi, on n’en saurait douter, mais non pas sans quelque fatigue évidemment, ni sans quelques accrocs à ce qu’on appelait l’esprit français. Je faisais plus d’une de ces réflexions, à part moi, durant ce riche discours tout semé et comme tissu de poésie, et je me demandais tout bas, par exemple, ce que penserait l’élégance un peu effacée du défunt en s’entendant louer par l’élégance si tranchée de son successeur.

La chute de l’Empire coupa court, ou à peu près, à la carrière dramatique de M. Étienne ; la Restauration le fit publiciste libéral à la Minerve et au Constitutionnel. La pre-

  1. On en a retenu et l’on en cite encore quelques-uns dans les Deux Gendres :
    Ceux qui dînent chez moi ne sont pas mes amis… ;
    et à propos d’un écrit du gendre philanthrope :

    Vous y plaignez le sort des nègres de l’Afrique,
    Et vous ne pouvez pas garder un domestique…

    On pourrait ainsi en glaner un certain nombre encore dans les Deux Gendres, presque pas un dans l’Intrigante.