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Mors aeterna tamen nihilominus illa manebit ;
Nec minus ille diu jam non erit, ex hodierno
Lumine qui finem vitaï fecit, et ille
Mensibus atque annis qui multis occidit ante. »

Notre ami était donc en train d’attacher ses travaux à des sujets et à des noms déjà éprouvés, et les moins périssables de tous sur cette terre fragile ; il voguait à plein courant dans la vie de l’intelligence ; des pensées plus douces de cœur et d’avenir s’y ajoutaient tout bas, lorsque tout d’un coup il fut saisi d’une indisposition violente, sans siège local bien déterminé, et c’est alors, durant une fièvre orageuse, qu’en deux jours, sans que la science et l’amitié consternées pussent se rendre compte ni avoir prévu, sans aucune cause appréciable suffisante, la vie subitement lui fit faute ; et le vendredi 19 septembre 1845, vers six heures du soir, il était mort quand il ne semblait qu’endormi.

« Il est mort, s’écriait Pline en pleurant un de ses jeunes amis[1], et ce qui n’est pas seulement triste, mais lamentable, il est mort loin d’un frère bien-aimé, loin d’une mère, loin des siens… procul a paire amantissimo, procul a matre… Que n’eût-il pas atteint, si ses qualités heureuses eussent achevé de mûrir ! De quel amour ne brûlait-il pas pour les lettres ! que n’avait-il pas lu ! combien n’a-t-il pas écrit ! Quo Me studiorum amore flagrabat ! quantum legit ! quantum etiam scripsit ! » Toutes ces paroles ne sont que rigoureusement justes appliquées à Charles Labitte, et celles-ci le sont encore[2], que je détourne à peine : « Fidèle à la tradition, reconnaissant des aînés et même des maîtres (pour mieux le devenir à son tour), qu’il ressemblait peu à nos autres jeunes gens ! Ceux-ci savent tout du premier jour, ils ne reconnaissent personne, ils sont à eux-mêmes leur propre autorité : statim sapiunt, statim

  1. Lettre ix du livre V.
  2. Lettre xiii du livre VIII.