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Il se fait assurément toutes les objections. Et pourtant il a foi, il se confie volontiers en l’instinct public, en la raison croissante des masses. Ce n’est pas pour la forme, c’est en conscience que cet esprit d’élite fait appel au vœu des majorités, qu’il leur accorde non-seulement une puissance de fait, mais comme une faculté de justesse. Il est bien peu d’hommes, depuis vingt-cinq ans, dont le libéralisme ne se soit usé, découragé ou perverti ; le sien a tenu bon et a gardé de sa flamme. Chez un esprit de cette qualité, c’est une sorte de phénomène. On peut dire de lui qu’il a une religion politique.

Nous en retrouverions l’idée et presque le dogme proclamé dans une brochure, la première à laquelle il ait mis son nom, et qu’il publia en 1820 sous le titre : De la Procédure par jurés en matière criminelle. Le ministère de 1819 préparait sur cette matière une loi, dont M. de Broglie, déjà le plus savant des légistes politiques, était l’inspirateur. Une commission avait été nommée ; M. de Rémusat, qui en faisait partie comme secrétaire, évoqua à lui la question et composa une espèce d’ouvrage, de traité, qui avait pour but d’éclairer et de sonder l’opinion, mais qui ne parut qu’au lendemain de la circonstance et d’un air de théorie.

Dans les premières pages, l’auteur trace à la politique, à la science de la société (comme il la définit), une sorte de voie moyenne entre l’utopie et l’empirisme, entre l’idée pure et la pratique trop réelle :

« Si la politique, disait-il, ne voit dans les événements que de vaines formes, dans les noms propres que de vains signes, elle ne sait qu’inventer des lois chimériques pour un monde supposé ; si elle n’aperçoit ici-bas que des accidents et des individus, elle gouverne le monde par des expédients : placée entre la République de Platon et le Prince de Machiavel, elle rêve comme Harrington ou règne comme Charles-Quint. »

S’attachant à dégager le droit sous le fait et à maintenir