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veulent-ils parler de doctrinaires ? Ce que je sais, c’est que nous étions trois d’abord, M. de Serre, Camille Jordan et moi. » Sans remonter si haut, sans nous reporter à cet âge presque mythologique du parti doctrinaire, nous trouvons, au moment où M. de Rémusat y fit son entrée, que la tête du groupe se composait exactement de M. Royer-Collard, du duc de Broglie, de M. de Barante et de M. Guizot. En se liant avec tous, et plus particulièrement encore avec M. Guizot, dont il se plaît à dire qu’aucun esprit n’a plus agi sur le sien, M. de Rémusat garda, comme on peut croire, sa propre originalité. Bien jeune, il apportait des idées et même des convictions déjà faites, un fonds de pure gauche en politique, le culte philosophique de la raison et de la vérité ; il se doctrinarisa pour la forme et pour l’agrément.

Dans le même temps, sa métaphysique s’éclairait d’un nouveau jour en rencontrant celle de M. Cousin, et tout d’abord il marqua dans l’école philosophique au premier rang des amateurs, en attendant qu’il y fît sa place comme un maître. Cette veine plus tard se retrouvera.

Une question se présente qu’autant vaut peut-être agiter ici et qu’aussi bien nous ne saurions éluder. En présence d’une nature si complexe, mais si loyale et si franche, qu’avons-nous après tout à craindre de pousser jusqu’au bout l’étude ? Et d’ailleurs, sous l’œil d’un esprit si clairvoyant, n’est-ce pas le seul digne hommage ? M. de Rémusat a certes en lui du sceptique, il a du railleur, et de plus il aime la vérité, et il eut à de certains jours, il a pour elle de ces merveilleux amours dont parle Cicéron après Platon. Or lequel des deux en lui domine ? lequel, en définitive, se rencontre le plus avant pour qui le sonde ? Est-ce le fond solide ou l’ondoyant ? Vous croyez que c’est l’ondoyant ; mais n’y a-t-il pas un fond plus solide par-delà ? Vous croyez que c’est le solide ; mais n’y a-t-il point par-delà un fond plus fuyant encore ? Là est le nœud du problème. Qui peut dire ce dernier mot des autres ? Le sait-on soi-même de soi ?