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événements, si accélérés qu’ils aient pu être. Entouré de leur amicale bienveillance, prenant part à leur intimité, le jeune Rémusat, bien que poussé par sa nature à se chercher d’autres guides, dut gagner dans ce commerce un fonds de notions réelles, d’observations précises, qui servaient de point d’appui à la contradiction même, et qu’étaient loin de posséder, de soupçonner au départ, tous ceux qui, comme lui, allaient à la découverte. Ainsi informé et prémuni, il eut beau se lancer ensuite, il eut de l’abstraction, jamais du vague ; il eut de l’audace, et il ne donna pas dans l’aventure.

Si rien n’est plus rare et plus profitable dans la jeunesse que d’apprendre à faire cas du jugement et de l’esprit de ceux dont on ne partage pas les opinions, rien aussi n’est calmant comme de voir ses propres opinions rencontrer quelque alliance et quelque bon accord autour de soi. M. de Rémusat éprouva de cette consolation en vivant dans la société de M. de Barante. Cet esprit élevé et fin, et qui a droit d’être difficile sur la qualité des autres, finit par le distinguer ; il trouvait que c’était dommage qu’ainsi doué on ne fit rien, c’est-à-dire qu’on n’écrivît pas. Il lui ouvrit un premier jour sur les idées politiques ou même littéraires de la société de Coppet, et le jeune homme s’aperçut avec joie qu’il existait encore un lieu où le libéralisme était d’assez bonne compagnie, où se retrouvait quelque chose du mouvement de 89, et que ses opinions n’étaient point exclusivement reléguées dans les écoles ou les estaminets. Cela l’éclaira, dit-il, et par là même le modéra.

Il écrivait déjà beaucoup et pour lui seul. Tout en faisant son droit (1814-1817), il composa un certain roman de Sidney, dont le patriote de ce nom était le héros ; il y avait déposé toutes ses idées sur la politique, la société, la vie, l’amour, et il en dit un peu sévèrement peut-être, sans nous mettre à même de le vérifier, que c’était une vraie déclamation. Mais les pages sur la jeunesse (1817), qui ouvrent