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partie du talent de M. de Rémusat ne s’est ainsi produite, en quelque sorte, que sous la rose. Voilà une manière d’épicuréisme qu’il faut dénoncer. Il en est résulté que ceux à qui un heureux hasard n’a pas fait entendre quelqu’une de ses jolies chansons, par exemple le Guide, le Néophyte doctrinaire ; – que ceux surtout qui n’ont pas assisté aux lectures de sa pièce d’Abélard, où cette vivacité première se retrouve, associée à de hautes pensées, à de la passion profonde et à un puissant intérêt dramatique, ne le connaissent pas encore tout entier. Nous tâchons ici, sans indiscrétion, de trahir une partie de ce qui se dérobe, et de hâter l’heure où ce rare esprit se verra forcé de se livrer à tous dans tout son talent.

Le jeune Rémusat était encore au collège qu’une autre vocation bien autrement grave, mais aussi irrésistible chez lui, se prononçait. Son goût semblait ne le porter d’abord que vers la littérature proprement dite, vers l’érudition grecque et latine ; l’histoire en particulier l’attirait peu. Il se plaisait à traduire pour s’exercer au style ; la forme le préoccupait plus que le fond, et il se sentait même une sorte de prévention contre la pensée et les systèmes. Mais tout d’un coup, étant en seconde, il entra un jour par curiosité dans la classe de philosophie. La philosophie formait alors un cours accessoire et facultatif pour les élèves de seconde et pour ceux de rhétorique. Un M. Fercoc, homme distingué, ami de M. de La Romiguière et resté plus condillacien que lui, y enseignait d’une manière attachante Locke et Condillac, avec un certain reflet moral et sentimental du Vicaire savoyard. Le jeune homme fut aussitôt saisi d’un attrait invincible ; il était venu par curiosité, il revint par amour, et se jeta à corps perdu dans cette source nouvelle de connaissances. Méthode, opinions, il embrassa tout avec ardeur. Il eut aussitôt du succès, et obtint, dès cette année, une mention de philosophie au Concours. C’est de cette époque, dit-il, qu’il commença à penser, à