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bien voulu nous permettre de les publier dans notre journal. Quand on pense avec tant de délicatesse, on a raison de choisir pour s’exprimer la langue de Sévigné et de La Fayette. » Voici quelques-unes de ces pensées, qui sont en effet délicates et fines ; l’esprit du monde s’y combine avec un souffle de rêve et de Poésie.

« Les gens médiocres craignent l’exaltation, parce qu’on leur a dit qu’elle pouvait avoir des suites nuisibles ; cependant c’est une maladie qu’on ne peut pas leur donner.

« Il y a des gens qui ont eu presque de l’amour, presque de la gloire, et presque du bonheur.

« On cherche tout hors de soi dans la première jeunesse ; nous faisons alors des appels de bonheur à tout ce qui existe autour de nous, et tout nous renvoie au dedans de nous-même peu à peu.

« Les âmes froides n’ont que de la mémoire ; les âmes tendres ont des souvenirs, et le passé pour elles n’est point mort, il n’est qu’absent.

« Le meilleur ami à avoir, c’est le passé.

« Dire aux hommes ne suffit pas, il faut redire, et puis redire encore ; l’enfance n’écoute pas, la jeunesse ne veut pas écouter, et si la vérité est enfin accueillie, c’est que de sa nature elle est infatigable, et qu’après avoir été tant rebutée, elle trouve enfin accès par sa persévérance.

« Les âmes fortes aiment, les âmes faibles désirent.

« La vie ressemble à la mer, qui doit ses plus beaux effets aux orages.

« C’est un bel éloge à faire de quelqu’un, au milieu de la corruption du monde, que de le croire digne d’être appelé romanesque. Ce sont des titres de chevalerie où chacun ne ferait pas facilement ses preuves.

« Il y a des femmes qui traversent la vie comme ces souffles du printemps qui vivifient tout sur leur passage. »

Elle était elle-même une de ces femmes : dans le monde comme dans la pénitence, toute son ambition fut qu’on la