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ques années. Il parle comme un républicain, comme un constitutionnel franchement rattaché au régime du Directoire ; mais nous n’avons plus à le suivre désormais. Pour clore le chapitre de sa relation avec Mme  de Charrière, il suffira d’ajouter que celle-ci lui pardonna toujours, lui écrivit jusqu’à la fin (elle mourut en décembre 1805) ; il lui répondait quelquefois. Elle recevait ses lettres avec un plaisir si visible, que cela faisait dire à une personne d’esprit présente :« Certains fils sont fins et deviennent imperceptibles, cependant ils ne rompent pas. » Il se mêlait bien à ce commerce prolongé un peu de littérature, au moins de sa part à elle, quelques commissions pour ses ouvrages ; elle le chargeait de lui trouver à Paris un libraire. Il y réussissait de temps en temps, il lui arrivait d’autres fois de garder ou de perdre les manuscrits.

La dernière lettre de lui à elle que nous ayons sous les yeux est du 26 mars 1796, à la veille de son départ pour la France dont il va devenir décidément citoyen ; elle se termine par ces mots et comme par ce cri : « Adieu, vous qui avez embelli huit ans de ma vie, vous que je ne puis, malgré une triste expérience, imaginer contrainte et dissimulante, vous que je sais apprécier mieux que personne ne vous appréciera jamais. Adieu, adieu[1] ! »

Nous n’avons pas besoin d’excuses, ce semble, pour avoir si longuement entretenu le lecteur d’une relation si singulière et si intime, pour avoir profité de la bonne fortune qui nous venait, et des lumières inattendues que cette correspondance projette en arrière sur les origines d’une existence célèbre. Benjamin Constant n’est plus à connaître désormais ; il sort de là tout entier, confessant le secret de sa nature même : Habemus confitentem reum. On se demande, on s’est demandé sans doute plus d’une fois comment, avec des ta-

  1. La Bibliothèque universelle de Genève des années 1847 et 1848 a donné depuis, in extenso, beaucoup de ces Lettres dont on vient d’avoir l’extrait et l’esprit.