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que cela est sans danger pour sa fortune. On fait bien des choses avec un louis de Lausanne quand il vaut 800 francs, et que les denrées ne sont point en raison de la valeur de l’or… Il me paraît conserver ici la même existence d’esprit que M. Huber lui avait vue à Lausanne. Il ne dit rien. On ne le prend pourtant pas pour un sot… Tout cela voit beaucoup un jeune Riouffe, qui est auteur des Mémoires d’un Détenu, qui ont eu de la célébrité. Ce Riouffe est extrêmement aimable… Benjamin est logé dans la rue du Colombier ; j’ai cru voir dans ce choix un souvenir sentimental. »

« 23 messidor.

« … L’aimable jeune homme ! car il est vraiment aimable, vu avec beaucoup de monde. Le salon de l’ambassade lui vaut mieux que le petit cabinet de Colombier. Quand on est entouré de beaucoup, on veut plaire à beaucoup et on plaît beaucoup plus. Vous ne serez pas fâché contre moi, n’est-ce pas ? Si vous n’étiez pas si sauvage, que vous voulussiez rassembler dans votre cabinet vingt-cinq personnes, que l’un fût girondin, l’autre thermidorien, l’autre platement aristocrate, l’autre constitutionnel, un autre jacobin, dix autres rien, alors j’aimerais à voir Constant écouté de tous à Colombier et goûté par tous. Le salon d’ici lui va mieux. S’il n’y passait que deux heures par jour, il serait pour lui la meilleure étude. Mais, hélas ! il y passe dix-huit heures, il ne vit plus que dans ce salon, et le salon le fatigue, il n’en peut plus. Sa santé se délabre, son physique si grêle souffre déjà ; cette taille, qui était tout à coup devenue élégante, reprend aujourd’hui cette courbure que Mlle  Moulat[1] a si

    avec Mme  de Charrière, la toilette n’avait guère été un article de rigueur ; elle lui passait volontiers le négligé. Lorsque plus tard elle le vit devenir muscadin, elle lui dit un jour tristement : « Benjamin, vous faites votre toilette, vous ne m’aimez plus ! »

  1. Elle faisait fort bien les silhouettes.