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de retour à Lausanne dans l’été de cette même année. C’est durant ce dernier séjour seulement, le 19 septembre, qu’il rencontre pour la première fois Mme  de Staël, ou du moins qu’il fait connaissance avec elle. Il avait conçu quelques préventions contre sa personne, contre son genre d’esprit, et obéissait en cela aux suggestions de Mme  de Charrière, qui était alors en froid avec l’ambassadrice, comme elle l’appelait[1]. Une lettre de Benjamin Constant à Mme  de Charrière, publiée par la Revue Suisse[2], a donné le récit de cette première rencontre, de ces premiers entretiens ; il ne s’y montre pas encore revenu de ses impressions antérieures : « 30 septembre 1794… Mon voyage de Coppet a assez bien réussi. Je n’y ai pas trouvé Mme  de Staël, mais l’ai rattrapée en route, me suis mis dans sa voiture, et ai fait le chemin de Nyon ici (à Lausanne) avec elle, ai soupé, déjeuné, dîné, soupé, puis encore déjeuné avec elle, de sorte que je l’ai bien vue et surtout entendue. Il me semble que vous la jugez un peu sévèrement. Je la crois très-active, très-imprudente, très-parlante, mais bonne, confiante, et se livrant de bonne foi. Une preuve qu’elle n’est pas uniquement une machine parlante, c’est le vif intérêt qu’elle prend à ceux qu’elle a connus et qui souffrent, Elle vient de réussir, après trois tentatives coûteuses et inutiles, à sauver des prisons et à faire sortir de France une femme, son ennemie, pendant qu’elle était à Paris, et qui avait pris à tâche de faire éclater sa haine pour elle de toutes les manières. C’est là plus que du partage. Je crois que son activité est un besoin autant et plus qu’un mérite ; mais elle l’emploie à faire du bien… » Ce qu’il y a d’injuste, de restrictif dans ce premier récit se corrige généreusement, trois se-

  1. On trouve dans l’édition de Caliste (Paris, 1845), à la fin du volume, quelques lettres tout aimables de Mme  de Staël à Mme  de Charrière, qui prouvent bien que la froideur entre elles deux vint d’un seul côté.
  2. N° du 15 mars 1844.