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vive qui s’éteint, ou, pour parler plus poliment, qui s’apaise pour se régler finalement dans une affectueuse indifférence. Il revoit sa famille, ses tantes et ses cousines, qui le traitent comme un très-jeune homme sans conséquence ; il les laisse dire et les raille ; il raille les Lausannois comme il a fait les Brunswickois ; il ne ménage pas à la rencontre les émigrés français qu’il trouve installés partout comme chez eux : aucun de leurs ridicules ne lui échappe, et il n’a pas de peine à se garantir de leurs opinions. Sa ligne girondine s’établit et se dessine de plus en plus : il s’obstine à croire une république possible sans la Terreur, et il ne veut des recettes de restauration à aucun prix. Les Mallet du Pan, les Ferrand, ne sont en rien ses hommes, et plus d’une de ses lettres s’exprime sur leur compte assez plaisamment[1]. Pressé pourtant, persécuté de nouveau par sa famille, il repart en novembre pour cet éternel Brunswick. Arrêté à la frontière allemande par les opérations militaires, il est heureux d’un prétexte et s’en revient. Il ne se remet en route pour l’Allemagne qu’en avril 1794, et arrive encore une fois à sa destination ; mais cette condition de domesticité princière lui est devenue trop insupportable, il jette sa clef de chambellan, et le voilà décidément libre et

  1. « Je ne comprends pas bien, écrit-il, ce que vous voulez dire par votre incertitude entre Ferrand et Mallet. Je suis très-décidé, moi, et le choix ne m’embarrasse pas, car je ne veux ni de l’un ni de l’autre. Grâce au ciel, le plan de Ferrand est inexécutable. Si par le malade vous entendez la royauté, le clergé, la noblesse, les riches, je crois bien que l’émétique de Ferrand peut seul les tirer d’affaire ; mais je ne suis pas fâché qu’il n’y ait pas d’émétique à avoir. Je ne sais pas quel est le plan de Mallet. Peut-être est-ce ma faute. Je sais qu’en détail il conseille une annonce de modération, fût-ce, dit-il, par prudence ! mots qui ont un grand sens, mais qui certes ne sont pas prudents. Enfin je désire que Mallet et Ferrand, Ferrand et Mallet, soient oubliés, la Convention bientôt détruite, et la république paisible. Si alors de nouveaux Marat, Robespierre, etc., etc., viennent la troubler et qu’ils ne soient pas aussitôt écrasés qu’aperçus, j’abandonne l’humanité et j’abjure le nom d’homme. »