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« En général, mon voyage m’a fait un grand bien ou plutôt dix grands biens. En premier lieu, je me sers moi tout seul, ce qui ne m’était jamais arrivé. Secondement, j’ai vu qu’on pouvait vivre pour rien ; je puis à Londres aller tous les jours au spectacle, bien dîner, souper, déjeûner, être bien vêtu, pour douze louis par mois. Troisièmement, j’ai été convaincu qu’il ne fallait, pour être heureux, quand on a un peu vu le monde, que du repos.

« Je vous souhaite tous ces bonheurs et mets le mien dans votre indulgence. Demain je serai à Methwold, un tout petit village entre ceci et Lynn, et au delà de Newmarket, dont Chesterford, d’où je vous écris ce soir, n’est qu’à cinq lieues. – Adieu, madame ; ajoutez à ma lettre tous mes sentiments pour vous, et vous la rendrez bien longue.

« Constant. »
« Westmoreland. – Patterdale, le 27 août 1787.

« Il y a environ cent mille ans, madame, que je n’ai reçu de vos lettres, et à peu près cinquante mille que je ne vous ai écrit. J’ai tant couru à pied, à cheval et de toutes les manières, que je n’ai pu que penser à vous. Je me trouve très-mal de ce régime, et je veux me remettre à une nourriture moins creuse. J’espère trouver de vos lettres à Londres, où je serai le 6 ou 7 du mois prochain, et je ne désespère pas de vous voir à Colombier[1] dans environ six semaines :

    observateur froid et caustique… Je ne me souviens pas, pendant mes dix-huit premières années, d’avoir eu jamais un entretien d’une heure avec lui. Ses lettres étaient affectueuses, pleines de conseils raisonnables et sensibles ; mais à peine étions-nous en présence l’un de l’autre, qu’il y avait en lui quelque chose de contraint que je ne pouvais m’expliquer, et qui réagissait sur moi d’une manière pénible. »

  1. Près de Neuchâtel ; Mme de Charrière y passait la plus grande partie de l’année.