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cœur à Mme  de Ferriol, et elle le fit sentir à Mlle  Aïssé, qui se leva, alla prendre le billet et le jeta au feu en sa présence.

Ce dut être en 1721 ou 1720 au plus tôt, que les relations de Mlle  Aïssé et du chevalier d’Aydie commencèrent : elle le vit pour la première fois chez Mme  du Deffand, jeune alors, mariée depuis 1718, et qui était citée pour ses beaux yeux et sa conduite légère, non moins que pour son imagination vive et féconde, comme elle le fut plus tard pour sa cécité patiente, sa fidélité en amitié et son inexorable justesse de raison. Le chevalier Blaise-Marie d’Aydie, né vers 1690, fils de François d’Aydie et de Marie de Sainte-Aulaire, était propre neveu par sa mère du marquis de Sainte-Aulaire de l’Académie française[1]. Ses parents eurent neuf enfants et peu de biens ; trois filles entrèrent au couvent, trois cadets suivirent l’état ecclésiastique. Blaise, le second des garçons, qui avait titre clerc tonsuré du diocèse de Périgueuse, chevalier non profès de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, fut présenté à la Cour du Palais-Royal par son cousin le comte de Rions, lequel était l’amant avoué et le mari secret de la duchesse de Berry, fille du Régent. Rions avait la haute main au Luxembourg ; il introduisit son jeune cousin, dont la bonne mine réussit d’emblée assez bien pour attirer un caprice passager de cette princesse, qui ne se les refusait guère. Le chevalier était donc dans le monde sur le pied d’un homme à la mode, lorsqu’il rencontra Mlle  Aïssé, et, de ce jour-là, il ne fut plus qu’un homme passionné, délicat et sensible. Les premiers temps de leur liaison paraissent avoir été traversés ; la résistance de la jeune femme, la concurrence peut-être du Régent, quelques restes de jalousie sans doute de M. de Ferriol, compliquèrent cette passion naissante. Le chevalier fit un long voyage, et on le voit au bout

  1. J’emprunterai beaucoup, dans tout ce que j’aurai à dire du chevalier d’Aydie, à une Notice manuscrite dont je dois communication à la bienveillance de M. le comte de Sainte-Aulaire.