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vos conseils, et peut-être le procédé d’une autre personne, lui ont inspiré un goût pour la campagne, que je tâcherais de cultiver, si j’avais quelques années de moins. » – Quel est ce procédé ? et de quelle autre personne s’agit-il ? Nous chercherons tout à l’heure. – Un mois après, Bolingbroke écrivait encore à Mme  de Ferriol (30 décembre 1721) : « Je compte que vous viendrez ; je me flatte même de l’espérance d’y voir Mme  du Deffand ; mais, pour Mlle  Aïssé, je ne l’attends pas. Le Turc sera son excuse, et un certain chrétien de ma connaissance, sa raison. » Ainsi, dès lors, Mlle  Aïssé était aimée du chevalier d’Aydie (car c’est bien lui qui se trouve ici désigné) ; et si elle restait à Paris, sous prétexte de ne pas quitter M. de Ferriol, elle avait sa raison secrète, plus voisine du cœur.

À une date antérieure, le 4 février 1719, il est question, dans un autre billet de Bolingbroke à d’Argental, de je ne sais quel événement plus ou moins fâcheux survenu à l’aimable Circassienne ; je donne les termes mêmes sans me flatter de les pénétrer : « Je vous suis très-obligé, mon cher monsieur, de votre apostille ; mais la nouvelle que vous m’y envoyez me fâche extrêmement. Mademoiselle Aïssé était si charmante, que toute métamorphose lui sera désavantageuse. Comme vous êtes de tous ses secrets le grand dépositaire[1], je ne doute point que vous ne sachiez ce qui peut lui avoir attiré ce malheur : est-elle la victime de la jalousie de quelque déesse, ou de la perfidie de quelque dieu ? Faites-lui mes très-humbles compliments, je vous supplie. J’aimerais mieux avoir trouvé le secret de lui plaire que celui de la quadrature du cercle ou de fixer la longitude. » Comme ce billet à d’Argental est écrit en apostille d’une

  1. Tu seras de mon cœur l’unique secrétaire,
    Et de tous nos secrets le grand dépositaire.

    C’est Dorante qui dit cela dans le Menteur (acte II, scène VI). Bolingbroke savait sa littérature française par le menu.