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ses derniers écrits, semble ne pas répudier la venue[1], dont M. Ballanche a semblé, dès l’abord, ouïr et répéter avec douceur les Vagues échos ? M. de Maistre, malgré tout ce qu’on peut dire, en croyant bien n’en pas être, et en protestant contre, n’y conspirait-il point, autant que personne, par mainte pensée hautement échappée ? Et s’il n’y a rien de nouveau en lui, comment se fait-il que, sur ses drapeaux, la plus novatrice des sectes religieuses de notre âge ait pu inscrire à son heure tant de paroles prophétiques, à lui empruntées, pour manifeste et pour devise ?

Ce sont là des questions que nous posons à peine, mais qui se lèvent devant nous ; et comme la lecture de De Maistre met, bon gré mal gré, en train de prédire, nous nous risquerons à ajouter : Quoi qu’il puisse arriver dans un avenir quelconque, et même (pour ne reculer devant aucune prévision), même si quelque chose en religion devait définitivement triompher qui ne fût pas le catholicisme pur, que ce fût une convergence de toutes les opinions et croyances chrétiennes, ou toute autre espèce de communion, De Maistre aurait encore assez bien compris l’alternative à l’heure de crise, il aurait assez ouvert les perspectives profondes et assez plongé avant son regard, pour s’honorer à jamais, comme génie, aux yeux des générations futures vivant sous une autre loi ; il ne leur paraîtrait à aucun titre un Julien réfractaire, mais bien plutôt encore une manière de prophète à contre-cœur comme Cassandre, une sibylle merveilleuse.

C’est trop nous hasarder à ces extrémités d’horizon où l’absurde et le possible se touchent ; rentrons vite dans la limite qui nous convient. Qu’on ne vienne pas tant s’étonner, après les Soirées, que M. de Maistre, étranger, ait si bien écrit dans notre langue : quand on est de cette taille

  1. Voir les Études historiques, chapitre de l’exposition « Le christianisme n’est point le cercle inflexible de Bossuet ; c’est un cercle qui s’étend à mesure que la société se développe… »