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venaient s’y asseoir auprès de lui, il les étonnait par l’étendue de son coup d’œil et sa vigueur d’espérance :« Tout ceci, disait-il, n’est qu’un mouvement de la vague ; demain peut-être elle nous portera trop haut, et c’est alors qu’il sera difficile de gouverner. »

Après diverses fluctuations résultant des événements, M. de Maistre fut mandé en Sardaigne par son souverain et nommé régent de la Grande-Chancellerie de ce royaume ainsi réduit. Le 12 janvier 1800, il arriva à Cagliari, la capitale, et y remplit les fonctions multipliées que comportait sa charge, jusqu’à ce qu’en septembre 1802 il fut nommé ministre plénipotentiaire à la cour de Saint-Pétersbourg. Durant ce séjour à Cagliari, ses travaux littéraires durent nécessairement s’interrompre ; il trouva pourtant moyen, sinon d’écrire, du moins d’étudier encore. Il y avait à Cagliari, raconte M. Raymond, un religieux dominicain, Lithuanien de nation et professeur de langues orientales. Chaque jour M. de Maistre avait à peine achevé son repas que le Père Hintz (c’était le nom du savant) arrivait chargé de vieux livres, et des dissertations s’établissaient à fond entre eux sur le grec, l’hébreu, le copte. M. de Maistre y renouvela et y fortifia ses connaissances philologiques déjà si étendues, attentif à remonter sans cesse aux racines cachées et ne séparant jamais de la lettre l’esprit. La matière des Soirées de Saint-Pétersbourg se prépare.

En quittant la Sardaigne, il passa par Rome et y reçut la bénédiction du Saint-Père, lui le plus véritablement romain de ses fils. Arrivé à Saint-Pétersbourg le 13 mai 1803, il n’en devait plus repartir que quatorze ans après, le 27 mai 1817. Tout ce qui nous reste à examiner de sa carrière littéraire est là. S’il ne publia en effet, dans cet intervalle, que l’opuscule sur le Principe générateur des Constitutions politiques, il y composa tous ses autres ouvrages, le Pape, les Soirées, (sauf la dernière écrite à Turin), le Bacon, etc., etc. Il était parti seul et demeura ainsi plusieurs années sans avoir près de