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qu’il fait concevoir l’inévitable fin et le coup de filet du réseau universel, d’une manière ordonnée, toute spirituelle, tout appropriée aux intelligences sévères. Il nous met presque dans l’alternative ou de ne croire à aucune loi régulatrice, ou de croire avec lui.

En s’emportant dans ce vigoureux écrit à des assertions extrêmes, intempérantes, en ne voulant voir que le caractère purement satanique de la Révolution, il garde pourtant, s’il est permis d’employer à son égard un tel mot sans offense, une certaine mesure ; ses conjectures du moins observent encore, par rapport à ce qu’elles deviendront plus tard, une sorte de modestie que j’aime à relever : « …Il n’y a point, dit-il en un beau passage[1], il n’y a point de châtiment qui ne purifie, il n’y a point de désordre que l’Amour éternel ne tourne contre le principe du mal. Il est doux, au milieu du renversement général, de pressentir les plans de la Divinité[2]. Jamais nous ne verrons tout pendant notre voyage, et souvent nous nous tromperons ; mais dans toutes les sciences possibles, excepté les sciences exactes, ne sommes-nous pas réduits à conjecturer ? et si nos conjectures sont plausibles, si elles ont pour elles l’analogie, si elles s’appuient sur des idées universelles, si surtout elles sont consolantes et propres à nous rendre meilleurs, que leur manque-t-il ? Si elles ne sont pas vraies, elles sont bonnes ; ou plutôt, puisqu’elles sont bonnes, ne sont-elles pas vraies ? »

Un second aspect des Considérations, c’est celui des événements positifs et des jugements historiques que l’auteur y a appliqués ; on n’en saurait assez admirer la sagacité et la portée précise. Une foule de vues qui n’ont prévalu et n’ont été vérifiées que par la suite apparaissent là pour la première fois ; l’auteur, en ayant l’air de tirer à bout portant

  1. Chap. III.
  2. C’est son Suave mari magno...., mais non point ici sans une véritable onction de christianisme.