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lis des raisonnements de cette force, je suis tenté de pardonner à Juvénal d’avoir dit en parlant d’un sot de son temps : Ciceronem Allobroga dixit[1] ; et à Thomas Corneille d’avoir dit dans une comédie en parlant d’un autre sot : Il est pis qu’Allobroge. » Mais déjà il passe à tout moment la frontière et ne se retient pas sur le compte de la grande nation : « Quand on voit ces prétendus législateurs de la France prendre des institutions anglaises sur leur sol natal et les transporter brusquement chez eux, on ne peut s’empêcher de songer à ce général romain qui fit enlever un cadran solaire à Syracuse et vint le placer à Rome, sans s’inquiéter le moins du monde de la latitude. Ce qui rend cependant la comparaison inexacte, c’est que le bon général ne savait pas l’astronomie. »

Sur la justice il y a d’assez belles choses, rien qui sente le peintre futur du bourreau. Il rappelle toutefois que, lorsqu’on parlait des prisonniers d’État renfermés à Miolans, unique prison de ce genre en Savoie, on était plutôt tenté de s’en prendre au trop de clémence du prince ; que trop souvent les prisons d’État autorisaient les erreurs de cette clémence, qu’elles dérobaient celui qui était plutôt dû au gibet ou aux galères, « et faisaient oublier cette maxime d’un homme célèbre, la plus belle chose peut-être que les hommes aient jamais dite : La justice est la bienfaisance des rois. » – Plus loin, à propos des prisons de Chambéry, il se plaît à faire ressortir le témoignage favorable de l’envoyé du Ciel, Howard. Ainsi, sur cette théorie de la rigueur, il n’a pas encore de parti pris. Il appelle de tous ses vœux, en finissant, la restauration de Victor-Amédé et s’élève avec passion, avec ironie déjà, contre les ambitieux voisins qui tant de fois, et au commencement du xviie siècle et depuis lors, ont troublé cet heureux

  1. Satire VII ; il s’agit d’un certain Rufus qui traitait Cicéron d’Allobroge, comme qui dirait de Racine qu’il est un Béotien ou un crétin.