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chargé de réconcilier le ciel et la terre, jamais je n’avilirai ces fonctions. Auguste interprète de Dieu parmi vous, on ne se déliera point des oracles qu’il rendra par ma bouche, car je ne le ferai jamais parler pour mes intérêts. »

Il est évident qu’il y a, dans ce portrait du ministre de paix, comme une réminiscence peu lointaine du Vicaire savoyard. Après le prêtre, l’orateur fait intervenir le guerrier, puis le magistrat, dont les devoirs sont le thème auquel particulièrement il s’attache. Mais jusqu’à présent le de Maistre que nous cherchons et que nous admirons n’est point encore trouvé.

Les années qui s’écoulèrent jusqu’au coup de tocsin de la Révolution française le laissèrent tel sans doute, étudiant et méditant beaucoup, mûrissant lentement, mais ne se révélant pas tout entier aux autres ni probablement à lui-même. Rien ne faisait pressentir l’illustration littéraire et philosophique, à la fois tardive et soudaine, dont il allait se couronner. C’était un magistrat fort distingué, non pas précisément (quoi qu’en ait dit quelqu’un de bien spirituel) un mélange de courtisan et de militaire : il n’avait de militaire que son sang de gentilhomme, et du courtisan il n’avait rien du tout. Dans cette espèce même de mercuriale dont nous parlions tout à l’heure, nous pourrions citer, sur l’indépendance et le stoïcisme imposés au magistrat, des paroles significatives qui dénoteraient toute autre chose que le partisan du bon plaisir royal[1].

  1. « … Qu’on ne dise pas, messieurs, qu’il est maintenant inutile de nous élever à ce degré de hauteur que nous admirons chez les grands hommes des temps passés, puisque nous ne serons jamais dans le cas de faire usage de cette force prodigieuse. Il est vrai que, sous le règne de rois sages et éclairés, les circonstances n’exigent pas de grands sacrifices, parce qu’on ne voit pas de grandes injustices ; mais il en est que les meilleurs souverains ne sauraient prévenir ; et si quelqu’un ose assurer qu’en remplissant ses devoirs avec une inflexibilité philosophique, on ne court jamais aucun danger, à coup sûr cet homme-là n’a jamais ouvert les yeux. D’ailleurs, messieurs, la vertu est une force constante, un état habi-