Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/386

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lettres, mais non pas à leur amour ni à leur reconnaissance : une élégie de madame Dufrenoy a consacré le souvenir d’un bienfait, comme il dut en répandre beaucoup et avec une délicatesse de procédés qui n’était qu’à lui. Il aimait, en donnant, à rappeler ces années de détresse, ces journées d’humble et intime jouissance où lui-même il avait dû au travail de sa plume la subsistance de tous les siens. La première Restauration traita bien M. de Ségur : Louis XVIII, étant comte de Provence, avait voulu être pour lui un ami, que dis-je ? un frère d’armes[1]. Dans les Cent-Jours, M. de Ségur n’eut d’autre tort que celui de croire qu’il pourrait revoir en face l’Empereur et se délier. Lorsqu’on veut rompre avec une maîtresse impérieuse et longtemps adorée, il ne faut pas affronter sa présence : sinon, un geste, un coup d’œil suffisent, et l’on a repris ses liens. M. de Ségur, le lendemain du merveilleux retour de l’île d’Elbe, s’était rendu aux Tuileries pour y porter ses hommages et comptant bien y faire agréer ses excuses : il en revint ce qu’il avait été auparavant, c’est-à-dire grand-maître des cérémonies. La seconde Restauration se vengea avec dureté, et durant trois années M. de Ségur, dépouillé de ses dignités, de ses pensions, de son siége à la Chambre des pairs, dut recourir de nouveau à sa plume qui ne lui fit point défaut. C’est alors qu’il composa son Histoire universelle, simple, nette, instructive, antérieure à bien des systèmes et à bon droit estimée. Dans une Lettre à mes enfants et à mes petits-enfants, placée en tête du manuscrit de cette Histoire tout entier écrit de la main de madame de Ségur, on lit ces paroles touchantes :

Paris, ce 1er  décembre 1817.

« Je n’ai pas de fortune à vous léguer ; celle que je tenais de mes pères m’a été enlevée par la Révolution, et j’ai été privé par le Gouvernement royal de presque toute celle que

  1. On peut voir dans les Mémoires l’anecdote du bal de l’Opéra.