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politique toute prussienne et électorale de leur roi, usant avec adresse de l’accès qu’il s’était ouvert dans l’esprit du prince Potemkin, il parvint à signer, vers les premiers jours de l’année 1787, avec les ministres russes, un traité de commerce qui assurait à la France tous les avantages dont jusqu’alors les Anglais avaient exclusivement joui. Ce succès fut, en quelque sorte, personnel à M. de Ségur, qui, dans ses Mémoires et dans ses divers écrits, a pu s’en montrer fier à bon droit. Effacé à son arrivée par les ministres d’Angleterre et d’Allemagne, il n’avait dû qu’à lui-même, à cet heureux accord de décision et de bonne grâce qui ne se rencontre qu’aux meilleurs moments, de se conquérir de plain-pied une considération dont l’effet s’étendit par degrés jusque sur ses démarches politiques. Si quelque intérêt s’attache aujourd’hui pour nous à cette négociation, il tient tout entier, on le conçoit, à la façon dont le négociateur nous la raconte, et au jeu subtil des mobiles qu’il nous fait toucher. La bizarrerie capricieuse du prince Potemkin ne fut pas le moindre ressort au début de cette petite comédie. Il était grand questionneur, se piquant fort d’érudition, surtout en matière ecclésiastique. Ce faible une fois découvert, M. de Ségur n’avait qu’à le mettre sur son sujet favori, qui était l’origine et les causes du schisme grec, et, l’entendant patiemment discourir durant des heures entières sur les conciles œcuméniques, il faisait chaque jour de nouveaux progrès dans sa confiance. Les autres personnages de la cour ne sont pas moins agréablement dessinés. « En s’étendant un peu longuement sur ce séjour en Russie, écrivions-nous il y a plus de quinze ans déjà, lors de l’apparition des Mémoires, l’auteur ou mieux le spirituel causeur a cédé sans doute à plus d’un attrait : là où lui-même a rencontré tant de plaisirs et de faveurs qu’il se plaît à redire, d’autres qui lui sont chers ont recueilli dans les dangers d’assez glorieux sujets à célébrer. Il y a dans ce rapprochement de famille de quoi faire naître plus d’une idée et sur la différence des époques et sur celle des manières