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les cerisiers, les pommiers, « tout blancs, tout rosés, tout embaumés, où le rossignol chante ; la verdure des premiers blés, qui cache l’alouette tombée des nues, et la solitude de nos Combes qui verdissent et gazouillent. Je voudrais vous apporter ici sur des ailes d’hirondelle, vous déposer à Gouville ; là se trouveraient votre mère, votre jolie sœur, deux ou trois de vos amis. Nous déjeunerions sur l’herbe fraîche, nous irions errant tout le jour sur la verdure des bois et des champs ; et puis, le soir, vous auriez vos ailes d’hirondelle qui vous reporteraient à votre case de Paris. Ce serait le réveil après un doux songe. – N’est-ce pas que vous donneriez bien huit jours de Paris pour une journée comme celle-là ?

« A défaut de promenades, ayons donc des lettres. Retrouvons-nous dans nos lettres. Les indifférents découragent ; les cœurs connus remettent de la chaleur et de la vie dans ceux de leurs amis, quand ils se touchent. Un livre qui connaissait l’homme a dit : Vœ soli ! Ne vous consumez pas ainsi de tristesse et d’amertume, mon cher Bertrand. Pensez à nous, écrivez-nous, vous serez soulagé ! »

Ces bonnes paroles l’atteignaient, le touchaient sans doute, mais ne le corrigeaient pas. Il souffrait de ce mal vague qui est celui du siècle, et qui se compliquait pour lui des circonstances particulières d’une position gênée. Un moment, la Révolution de Juillet parut couper court à son anxiété, et ouvrir une carrière à ses sentiments moins contraints ; il l’avait accueillie avec transport, et nous le retrouvons à Dijon, durant les deux années qui suivent, prenant, à côté de son ami Brugnot et même après sa mort, une part active et, pour tout dire, ardente, au Patriote de la Côte-d’Or. Le réveil ne fut que plus rude ; ce coup de collier en politique l’avait mis tout hors d’haleine ; l’artiste en lui sentait le besoin de respirer. Par malheur, la littérature elle-même avait fait tant soit peu naufrage dans la tempête, et si Bertrand avait recherché de ce côté la place du doux nid mélodieux, il ne l’aurait plus