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Miltiade, Cimon, Thémistocle, Périclès. Mais, ce point essentiel posé, le reste avait moins de suite chez lui et variait au gré d’une imagination aisément enthousiaste ou effarouchée, que, par bonheur, fixait en définitive l’influence de la famille. La réputation officiellement souvent ; il l’a remarqué lui-même, et cela peut surtout s’appliquer à lui. Ce serait une illusion de perspective que de faire de M. de Fontanes un politique : encore un coup, c’était un poète au fond. Son dessous de cartes, le voulez-vous savoir ? comme disait M. de Pomponne de l’amour de madame de Sévigné pour sa fille. En 1805, président du Corps législatif, il ne s’occupe en voyage que du poëme des Pyrénées et des Stances à l’ancien manoir de ses pères. En 1815, président du Collége électoral à Niort, il fait les Stances à la fontaine Du Vivier et aux mânes de son frère. Voilà le dessous de cartes découvert : peu de politiques en pourraient laisser voir autant.

En 1814, au Sénat, il signa la déchéance, mais ce ne fut qu’avec une vive émotion, et en prenant beaucoup sur lui ; il fallut que M. de Talleyrand le tînt quelque temps à part, et, par les raisons de salut public, le décidât. On l’a accusé, je ne sais sur quel fondement, d’avoir rédigé l’acte même de déchéance, et je n’en crois rien[1]. Mais il n’en est peut-être pas ainsi d’autres actes importants et mémorables d’alors, sous lesquels il y aurait lieu à meilleur droit, et sans avoir besoin d’apologie, d’entrevoir la plume de M. de Fontanes. Cela se conçoit : il était connu par sa propriété de plume et sa mesure ; on s’adressait à lui presque nécessairement, et il rendait à la politique, dans cette crise, des services de littérateur, services anonymes, inoffensifs, désintéressés, et auxquels il n’attachait lui-même aucune importance. Mais voici à ce propos une vieille histoire.

On était en 1778 ; deux beaux-esprits qui voulaient percer,

  1. On croit savoir, au contraire, que la rédaction de cet acte est de Lambrechts.