Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un peu naïvement à la lecture de Marculphe, avait soin toutefois de ne lui conseiller que la préface. Son imagination l’avait fait, avant tout, poëte, c’est-à-dire volage.

On est curieux de savoir, dans ce rôle important et prolongé de Fontanes au sein de la littérature, soit avant 89, soit depuis 1800, quelle était sa relation précise avec Delille. Était-il disciple, était-il rival ? – Ayant débuté en 1780, c’est-à-dire dix ans après le traducteur des Géorgiques, Fontanes le considérait comme maître, et en toute occasion il lui marqua une respectueuse déférence. Mais il est aisé de sentir qu’il le loue plus qu’il ne l’adopte, et que, depuis la traduction des Géorgiques, il le juge en relâchement de goût. D’ailleurs, il appuya l’Homme des Champs dans le Mercure[1] ; lorsqu’il s’agit de rétablir l’absent boudeur sur la liste de l’Institut, il prit sur lui de faire la démarche, et, sans avoir consulté Delille, il se porta garant de son acceptation. Les choses entre eux en restèrent là, dans une mesure parfaitement décente, plus froide pourtant que ces témoignages ne donneraient à penser. Delille n’avait qu’un médiocre empressement vers Fontanes. En poésie et en art, on est dispensé d’aimer ses héritiers présomptifs, et Fontanes a pu parfois sembler à Delille un héritier collatéral, qui aurait été quelque peu un assassin, si l’indolent avait voulu. Mais sa poésie craignait le public et la vitre des libraires plus encore que celle du brillant descriptif ne les cherchait.

On peut se faire aujourd’hui une autre question dont nul ne s’avisait dans le temps : Quelle fut la relation de Fontanes à Millevoye ? – Fontanes est un maître, Millevoye n’est qu’un élève. Venu aux Écoles centrales peu après que la proscription de Fructidor en eut éloigné Fontanes, Millevoye ne put avoir avec lui que des rapports tout à fait rares et inégaux. Mais la considération, qui est tant pour les contemporains, compte bien peu pour la postérité ; celle-ci ne voit que les

  1. Fructidor an VIII. On y trouve encore un article de lui sur la nouvelle édition des Jardins, fructidor an IX.