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À Courbevoie, dans un petit cabinet au fond du grand, il y avait le boudoir du poëte, le lectulus des anciens : tout y était simple et brillant (simplex munditiis). Les murs se décoraient d’un lambris en bois des îles, espèce de luxe alors dans sa nouveauté. Une glace sans tain faisait porte au grand cabinet ; la fenêtre donnait sur les jardins, et la vue libre allait à l’horizon saisir les flèches élancées de l’abbaye de Saint-Denis. En face d’un canapé, seul meuble du gracieux réduit, se trouvait un buste de Vénus : elle était là, l’antique et jeune déesse, pour sourire au nonchalant lecteur quand il posait son Horace au Donec gratus eram, quand il reprenait son Platon entr’ouvert à quelque page du Banquet. Or, une fois par semaine, le dimanche, M. de Fontanes avait à dîner l’Université, recteurs, conseillers, professeurs, et il faisait admirer sa vue, il ouvrait sans façon le pudique boudoir. Mais le buste de Vénus ! et dans le cabinet d’un Grand-Maître ! Quelques-uns, vieux ou jeunes, encore jansénistes ou déjà doctrinaires, se scandalisèrent tout bas, et on le lui redit. De là sa petite ode enchantée :

Loin de nous, Censeur hypocrite
Qui blâmes nos ris ingénus !
En vain le scrupule s’irrite,
Dans ma retraite favorite,
J’ai mis le buste de Vénus.

Je sais trop bien que la volage
M’a sans retour abandonné ;
Il ne sied d’aimer qu’au bel âge ;
Au triste honneur de vivre en sage
Mes cheveux blancs m’ont condamné.

Je vieillis ; mais est-on blâmable
D’égayer la fuite des ans ?
Vénus, sans toi rien n’est aimable ;
Viens de ta grâce inexprimable
Embellir même le bon sens.