Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faisait toujours ! Il en hasardait parfois des fragments à l’Institut. Il en expliquait à ses amis le plan, par malheur trop peu fixé dans leur mémoire. Une fois, après avoir passé six semaines presque sans interruption à Courbevoie, il écrivit à une personne amie d’y venir, si elle avait un moment : celle-ci accourut. Fontanes lui lut un chant tout entier terminé. Comme c’était au matin et qu’il n’était ni coiffé ni poudré, sa tête parut plus dépouillée de cheveux, et on le lui dit : « Oh ! répondit Fontanes, j’en ai encore perdu depuis quinze jours ; quand je travaille, ma tête fume ! » Contraste à relever entre ce feu poétique ardent et ce que de loin on s’est figuré de la veine pure et un peu froide de Fontanes ! – Fontanes avait l’imagination vive, ardente, primesautière, sous son talent poétique élégant, comme, sous son habileté d’orateur et sa dignité de représentation, il avait une inexpérience d’enfant en beaucoup de choses, une vraie bonhomie et candeur et mène brusquerie de caractère, le contraire du compassé, comme encore il avait de l’épicurien tout à côté de son respect religieux et de son affection chrétienne ; il était plein de ces contrastes, le tout formant quelque chose de naïf et de bien sincère.

En composant il n’écrivait jamais ; il attendait que l’œuvre poétique fût achevée et parachevée dans sa tête, et encore il la retenait ainsi en perfection sans la confier au papier. Ses brouillons, quand il s’y décidait, restaient informes, et ce qu’on a de manuscrits n’est le plus souvent qu’une dictée faite par lui à des amis, et sur leur instante prière ; plusieurs de ses ouvrages n’ont jamais été écrits de sa main. Je ne connaissais Fontanes que d’après les quelques vers d’ordinaire reproduits, et je me rappelle encore mon impression étonnée lorsque j’entendis, pour la première fois, ses odes inédites et d’éloquentes tirades de la Grèce sauvée, récitées de mémoire, après des années, par une bouche amie et admiratrice, comme par un rhapsode passionné. Cette dernière tentative des épopées classiques élégantes et polies m’arrivait orale-