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Bonaparte restèrent secrets, les éloges, prodigués tout à côté, ne devinrent pas publics. S’il se garda bien de divulguer l’Ode au Duc d’Enghien, il s’abstint aussi de publier l’Ode sur les Embellissements de Paris. C’est une consolation pour ceux qui jugent les éloges de ses discours exagérés, de les retrouver dans ses poésies, où ils ont certes deux caractères parfaitement nobles, la conviction et le secret. Fontanes, sous son manteau d’orateur impérial, n’était pas une nature de courtisan et de flatteur, comme on l’a tant cru et dit. Un jour, l’Empereur lui demandait de lui réciter des vers, il désirait la pièce sur les Embellissements de Paris dont il avait entendu parler : Fontanes lui récita des vers de la Grèce sauvée qui étaient plutôt républicains. – Un affidé de l’Empereur vint un jour et lui dit : « Vous ne publiez rien depuis longtemps, publiez donc des vers, des vers où il soit question de l’Empereur : il vous en saurait gré, il vous enverrait 100,000 francs, je gage ! » Ces sortes de gratifications étaient d’usage sous l’Empire, et elles ne venaient jamais hors de propos à cause des frais énormes de représentation qui absorbaient les plus gros appointements. Fontanes raconta l’insinuation à une personne amie, qui lui dit : « Vous pourriez publier les vers sur les Embellissements de Paris ; ils sont faits, et l’éloge porte juste. » – « Oh ! je m’en garderais bien, s’écria-t-il en se frottant les mains comme un enfant ; ils seraient trop heureux dans les journaux de pouvoir tomber sur le Grand-Maître en une occasion qui leur serait permise ! » – Il ne publia donc pas les Embellissements de Paris, mais il fit imprimer les Stances à M. de Chateaubriand, lequel était peu en agréable odeur[1].

Au milieu des affaires et de tant de soins, Fontanes pensait

  1. Lors du fameux discours de réception que M. de Chateaubriand ne put prononcer à l’Académie, la contenance de Fontanes fut d’un ami ferme et fidèle. On peut lire, au tome II du Mémorial de Sainte-Hélène, la scène dont il fut l’objet à cette occasion, car c’est de lui qu’il s’agit, bien qu’on ne le nomme pas. Dans la suite du Mémorial,