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stants quasi naïve, les étendait à plaisir, et lui-même proposa deux fois à la signature de l’Empereur la nomination de M. Arnault, assez peu reconnaissant : « Ah ! c’est vous, vous, Fontanes, qui me proposez la nomination d’Arnault, fit l’Empereur à la seconde insistance ; allons, à la bonne heure[1] ! » Quand M. Frayssinous vit interdire ses conférences de Saint-Sulpice, et se trouva momentanément sans ressources, M. de Fontanes, sur la demande d’une personne amie, le nomma aussitôt inspecteur de l’Académie de Paris. Sa générosité n’eut pas même l’idée qu’il pût y avoir inconvénient pour lui-même à venir ainsi en aide à ceux que l’Empereur frappait. La vie de M. de Fontanes est pleine de ces traits, et cela rachète amplement quelques faiblesses publiques d’un langage, lequel encore, si l’on veut bien se reporter au temps, eut toujours ses réserves et sa décence.

    consiste à, savoir s’il a le talent nécessaire, s’il a un bon esprit, et si l’on peut compter sur les sentiments qui guideraient ses recherches et conduiraient sa plume. »

    Tout ce qu’il y a de profondément vrai et de radicalement faux dans cette Note mémorable serait matière à longue méditation. Napoléon décrète l’esprit de l’histoire ; c’est heureux qu’il ne décrète pas aussi le talent et la capacité de l’historien. Qu’en dirait Tacite ? Il faut… il faut… Ce Tacite aurait été découragé par la police. On a souvent cité une réponse de Napoléon à Fontanes, quand celui-ci recommandait un jeune homme de haute promesse, en disant : « C’est un beau talent dans un si beau nom ! » – « Eh ! pour Dieu ! monsieur de Fontanes, aurait reparti Napoléon, laissez-nous au moins la république des lettres ! » Je ne sais si le mot a été dit : il a été mainte fois répété, et avec variantes : ce sont de ces citations commodes. Mais de quel côté donc (cela fait sourire) la république des lettres était-elle en danger, je vous prie ?

  1. M. Arnault, conseiller de l’Université et à la fois secrétaire du Conseil, fut à même de desservir de très-près le Grand-Maître et de prêter secours sous main à la résistance de Fourcroy. Il faut dire pourtant que, dans les Cent-Jours, devenu président du Conseil, il se conduisit bien et avec égards pour les amis de M. de Fontanes dans l’Université. Il a parlé de lui, un peu du bout des lèvres, mais avec convenance, dans ses Souvenirs d’un Sexagénaire, tome I, pages 291-292.