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toucher toute votre machine. Ils rapporteront au Conseil beaucoup de faits et d’expérience, et c’est là votre grand besoin. Il faut donc les faire courir à franc étrier dans toute la France, et leur recommander de séjourner au moins quinze jours dans les grandes villes. Les bons jugements ne sont que la suite d’examens répétés.

« Souvenez-vous que tous les hommes demandent des places.

« On ne consulte que son besoin, et jamais son talent.

« Peut-être même vingt conseillers ordinaires, c’est beaucoup ; cela compose la tête du Corps d’éléments hétérogènes. Le véritable esprit de l’Université doit être d’abord dans le petit nombre. Il ne peut se propager que peu à peu, que par beaucoup de prudence, de discrétion et d’efforts persévérants.

« … Fontanes, savez-vous ce que j’admire le plus dans le monde ?… C’est l’impuissance de la force pour organiser quelque chose.

« Il n’y a que deux puissances dans le monde, le sabre et l’esprit.

« J’entends par l’esprit les institutions civiles et religieuses… À la longue, le sabre est toujours battu par l’esprit. »

Est-il besoin de faire ressortir tout ce qu’a de prophétique, dans une telle bouche, cet aveu, ce cri éclatant, soudain, jeté là comme en post-scriptum, sans qu’on nous en donne la liaison avec ce qui précède, sans qu’il y ait eu d’autre liaison peut-être ! vraies paroles d’oracle !

Ô vous tous, Puissants, qui vous croiriez forts sans l’esprit, rappelez-vous toujours qu’en ses heures de miracle, entre Iéna et Wagram, c’est ainsi que le sabre a parlé[1].

M. de Fontanes, en vue des générations survenantes, ten-

  1. Contradiction et illusion ! En même temps qu’il proclamait cette victoire définitive de l’esprit, Napoléon méconnaissait l’esprit dans sa propre essence, et il croyait que, pour le produire, il suffit de le commander. Je trouve dans les papiers de Fontanes la note suivante, dic-