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cet honneur les Collèges électoraux. Il ne veut point nous séparer d’eux, et nous l’en remercions. Plus le Corps législatif se confondra dans le peuple, plus il aura de véritable lustre ; il n’a pas besoin de distinction, mais d’estime et de confiance… » Et la phrase, en continuant, retournait vite à l’éloge ; mais le mot était dit, le coup était rendu. Napoléon le sentit avec colère, et dès lors il résolut d’éloigner Fontanes de la présidence. L’établissement de l’Université, qui se faisait, en cette même année, sur de larges bases, lui avait déjà paru une occasion naturelle d’y porter Fontanes comme Grand-Maître, et il songea à l’y confiner ; car, si courroucé qu’il fût à certains moments, il ne se fâchait jamais avec les hommes que dans la mesure de son intérêt et de l’usage qu’il pouvait faire d’eux. Il dut pourtant, faute du candidat qu’il voulait lui substituer[1], le subir encore comme président du Corps législatif durant toute l’année 1809. Fontanes, toujours président et déjà Grand-Maître, semblait cumuler toutes les dignités, et il était pourtant en disgrâce positive.

Il s’y croyait autant et plus que jamais, lorsque, dans l’automne de 1809, une lettre du maréchal Duroc lui notifia que l’Empereur l’avait désigné pour le voyage de Fontainebleau ; c’était, à une certaine politesse près, comme les Fontainebleau et les Marly de Louis XIV, et le plus précieux signe de la faveur souveraine. Il se rendit à l’ordre, et, dans la galerie du château, après le défilé d’usage, l’Empereur, repassant devant lui, lui dit : Restez ; et quand ils furent seuls, il continua : « Il y a longtemps que je vous boude, vous avez dû vous en apercevoir ; j’avais bien raison. » Et comme Fontanes s’inclinait en silence, et de l’air de ne pas savoir : « Quoi ! vous m’avez donné un soufflet à la face de l’Europe, et sans que je pusse m’en fâcher… Mais je ne vous en veux plus… ; c’est fini. »

  1. M. de Montesquiou, qui ne fut nommé qu’en 1810.