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demain ( 4 germinal), Fontanes, à la tête de la députation du Corps législatif, porta la parole devant le Consul, à qui l’assemblée, en se séparant, venait de décerner une statue comme à l’auteur du Code civil (singulière et sanglante coïncidence) ; il disait : « Citoyen premier Consul, un empire immense repose depuis quatre ans sous l’abri de votre puissante administration. La sage uniformité de vos lois en va réunir de plus en plus tous les habitants. » Le discours parut dans le Moniteur, et, au lieu de la sage uniformité DE VOS LOIS, on y lisait DE VOS MESURES. Qu’on n’oublie toujours pas le duc d’Enghien fusillé quatre jours auparavant : le Consul espérait, par cette fraude, confisquer à la mesure l’approbation du Corps législatif et de son principal organe. Fontanes, indigné, courut au Moniteur, et exigea un erratum qui fut inséré le 6 germinal, et qu’on y peut lire imprimé en aussi petit texte que possible. Cela fait, il se crut perdu ; de même qu’il avait de ces premiers mouvements qui sont de l’honnête homme avant tout, il avait de ces crises d’imagination qui sont du poëte. En ne le jugeant que sur sa parole habile, on se méprendrait tout à fait sur le mouvement de son esprit et sur la vivacité de son âme. Quoi qu’il en soit, il avait quelque lieu ici de redouter ce qui n’arriva pas. Mais Bonaparte fut profondément blessé, et, depuis ce jour, la fortune de Fontanes resta toujours un peu barrée par son milieu. Nous sommes si loin de ces temps, que cela aura peine à se comprendre ; mais, en effet, si comblé qu’il nous paraisse d’emplois et de dignités, certaines faveurs impériales, alors très-haut prisées, ne le cherchèrent jamais. Que sais-je ? dotation modique, pas le grand cordon ; ce qu’on appelait les honneurs du Louvre, qu’il eut jusqu’à la fin à titre de sénateur, mais que ne conserva pas

    Révolution française parlent de ce discours (tome XXXIX, page 59), on voit qu’au sortir des couleurs fortes et tranchées des époques antérieures, ils n’ont pas pris la peine d’entrer dans les nuances, ni de les vouloir distinguer.