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toujours polie, il poussait comme eux au ralliement et au triomphe des principes et des sentiments que le 13 vendémiaire n’avait pas intimidés, et qu’allait frapper tout à l’heure le 18 fructidor.

C’était, durant les mois qui précédèrent cette journée, une grande polémique universelle, dans laquelle se signalaient, parmi les monarchiens, La Harpe, Fontanes, Fiévée, Lacretelle, Michaud, écrivant soit dans le Mémorial, soit dans la Quotidienne, dans la Gazette française ; et, parmi les républicains, Garat, Chénier, Daunou, dans les journaux intitulés la Clef du Cabinet, le Conservateur ; Rœderer dans le Journal de Paris ; Benjamin Constant déjà dans des brochures. Le rôle de Fontanes, au milieu de cette presse animée, devient fort remarquable : la modération ne cesse pas d’être son caractère et fait contraste plus d’une fois avec les virulences et les gros mots de ses collaborateurs. Il est pour l’accord des lois et des mœurs, des principes religieux et de la politique, pour le retour des traditions conservatrices, et (ce qui était rare, ce qui l’est encore) il n’en violait pas l’esprit en les prêchant. A part les jacobins, il ne hait ni n’exclut personne : « Des gens qui ne se sont jamais vus, dit-il (28 août 1797), se battent pour des opinions et croient se détester ; ils seraient bien étonnés quelquefois, en se voyant, de ne trouver aucune raison de se haïr. Tel adversaire conviendrait mieux au fond que tel allié. » En fait de croyances religieuses, il exprime partout l’idée qu’elles sont nécessaires aux sociétés humaines comme aux individus, qu’elles seules remplissent une place qu’à leur défaut envahissent mille tyrans ou mille fantômes ; et, à propos des superstitions des incrédules, il rappelle de belles paroles que Bonnet lui adressait en sa maison de Genthod, lorsqu’il l’y visitait en 1787 : « Il faut laisser des aliments sains à l’imagination humaine, si on ne veut pas qu’elle se nourrisse de poisons[1]. » Je trouve, dans

  1. Mémorial du 1er  juillet 1797, article sur les francs-maçons et