Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

colique Anglais par un Chant du Barde[1] : tous deux rêveurs, tous deux délicats et sobres, leurs noms aisément s’entrelaceraient sous une même couronne. Gray pourtant, dans sa veine non moins avare, a quelque chose de plus curieusement brillant et de plus hardi, je le crois. Les deux ou trois perles qu’on a de lui luisent davantage. Celles de Fontanes, plus radoucies d’aspect, ne sont peut-être pas de qualité moins fine : le chantre plaintif du Collège d’Eton n’a rien de mieux que ces simples Stances à une jeune Anglaise.

Une affinité naturelle poussait Fontanes vers les poëtes anglais : on doit regretter qu’il n’ait pas suivi plus loin cette veine. Il avait bien plus nettement que Delille le sentiment champêtre et mélancolique, qui distingue la poésie des Gray, des Goldsmith, des Cowper : son imagination, où tout se terminait, en aurait tiré d’heureux points de vue, et aurait importé, au lieu du descriptif diffus d’alors, des scènes bien touchées et choisies. Mais il aurait fallu pour cela un plus vif mouvement d’innovation et de découverte que ne s’en permettait Fontanes. Il côtoya la haie du cottage, mais il ne la franchit pas. L’anglomanie qui gagnait le détourna de ce qui, chez lui, n’eût jamais été que juste. De son premier voyage en Angleterre, il rapporta surtout l’aversion de l’opulence lourde, du faste sans délicatesse, de l’art à prix d’or, le dégoût des parcs anglais, de ces ruines factices, et de cet inculte arrangé qu’il a combattu dans son Verger. De l’école

  1. Almanach des Muses, 1783. – Fontanes, dans son voyage à Londres, d’octobre 1785 à janvier 1780, vit beaucoup le poëte Mason, ami et biographe de Gray. Les filles d’un ministre, chez qui il logeait, lui chantaient d’anciens airs écossais : « Il est très-vrai, écrit-il dans une lettre de Londres à son ami Jouhert, que plusieurs hymnes d’Ossian ont encore gardé leurs premiers airs. On m’a répété son apostrophe à la lune. La musique ne ressemble à rien de ce que j’ai entendu. Je ne doute pas qu’on ne la trouvât très-monotone à Paris : je la trouve, moi, pleine de charme. C’est un son lent et doux, qui semble venir du rivage éloigné de la mer et se prolonger parmi des tombeaux. »