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déjà des simples essais juvéniles. Ce Cri de mon Cœur ne serait qu’une boutade adolescente sans conséquence, s’il ne nous représentait assez bien toutes les impressions accumulées de l’enfance douloureuse de Fontanes. La mort de son frère aîné, celle de son père et de sa mère, qui l’ont frappé coup sur coup, achèvent d’égarer son âme. Il s’écrie contre l’existence ; il va presque jusqu’à la maudire :

Monarque universel, que peut-être j’outrage,
Pardonne à mes soupirs ; je connais mon erreur.
Pour un jeune arbrisseau que tourmente l’orage,
Dois-tu suspendre la fureur ?

D’un pas toujours égal, la Nature insensible
Marche, et suit les décrets avec tranquillité.
Audacieux enfant contre elle révolté,
Je me débats en vain sous le bras inflexible
De la Nécessité.

Il s’arrête un moment aux projets les plus sinistres et les envisage sans effroi :

Terre, où va s’engloutir ma dépouille fragile,
Terre, qui t’entretiens de la cendre des morts,
O ma mère, à ton fils daigne ouvrir un asile, !
Heureux, si dans ton sein doucement je m’endors !
Sous la tombe, du moins, l’infortune est tranquille.

Mais à l’instant la terre s’entr’ouvre, l’Ombre de son père en sort et le rappelle à la raison, à la constance, à la vertu, lui montre une sœur chérie qui lui reste, et l’invite aux beaux-arts, à la poésie noblement consolatrice. Ce Cri de mon Cœur semble avoir exhalé en une fois toute cette ferveur troublée de la jeune âme de Fontanes, et on n’en retrouvera plus trace désormais dans son talent pur, tendre, mélancolique, et moins ardent que sensible[1].
  1. Je veux être tout à fait exact : outre cette même pièce du Cri