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(ce qui est bien de lui) sur le point comique au milieu de la circonstance sombre, l’homme d’esprit chez La Layette se serait contenté de sourire tout bas, et on ne l’aurait pas su.

Cet instant d’embarras à part, la conduite de La Fayette rentre bien vite dans sa rectitude incontestée, et elle se rapporte, durant toute la Restauration, à des sympathies générales trop partagées et encore trop récentes pour qu’il ne soit pas superflu de rien développer ici. Rentré à la Chambre élective en 1818, il vit le parti libéral se former, et, autant qu’aucun chef d’alors, il y aida. C’était, après tout, cette même masse moyenne et flottante de laquelle il écrivait en 1799 : « La partie plus ou moins pensante de la nation ne fut jamais contre-révolutionnaire qu’en désespoir de toute autre manière de se débarrasser de la tyrannie conventionnelle, pour laquelle on a bien plus de dégoût encore. Donnez-lui des institutions libérales, un régime conséquent et d’honnêtes gens, vous la verrez revenir à leurs idées des premières années de la Révolution, avec moins d’enthousiasme pour la liberté, mais avec une crainte de la tyrannie et un amour de la tranquillité qui lui fera détester tout remuement aristocrate ou jacobin. » L’enthousiasme même semblait revenu, depuis 1815, sous le coup de tant de sentiments et d’intérêts sans cesse froissés ; on s’organisait pour la défense on espérait et on avait confiance dans l’issue, précisément en raison des excès contraires. Il y avait, comme en défi de l’oppression, un universel rajeunissement. Nul, en ces années, ne fut plus jeune que le général La Fayette. Ne le fut-il pas trop quelquefois ? N’alla-t-il pas bien loin en certaines tentatives prématurées, comme dans l’affaire de Belfort[1] ? Nos vieilles ardeurs sont trop d’accord avec les siennes là-dessus pour que notre triste impartialité d’aujourd’hui y veuille regarder de plus près. C’étaient de beaux temps, après tout, si l’on ne se reporte qu’aux sentiments

  1. Tome VI, page 135 et suiv.