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société en 1799, qui, dans son admirable lettre à M. de Maubourg, désormais acquise à l’histoire[1], après un vigoureux tracé des partis, continuait ainsi : « Voilà, mon cher ami, le margouillis national au milieu duquel il faut pêcher la liberté dont personne ne s’embarrasse, parce qu’on n’y croit pas plus qu’à la pierre philosophale....., » et qui ajoutait : « Je suis persuadé que, s’il se fait en France quelque chose d’heureux, nous en serons..... Il y a dans la multitude tant de légèreté et de mobilité, que la vue des honnêtes gens, de ses anciens favoris, la disposerait à reprendre ses sentiments libéraux ; » eh bien ! c’est ce même homme qui, en 1815, à peine rentré dans l’action, s’étonnait qu’on pût accuser les Français de légèreté[2], et les en disculpait. J’insiste, parce que c’est ici le nœud du caractère de La Fayette ; mais voici un trait encore. En 1812, le 4 juillet, de Lagrange, il écrit à Jefferson ; c’était le trente-sixième anniversaire de la proclamation de l’indépendance américaine, de ce grand jour, dit-il, où l’acte et l’expression ont été dignes l’un de l’autre : « Ce double souvenir aura été heureusement renouvelé dans votre paisible retraite par la nouvelle de l’extension du bienfait de l’indépendance à toute l’Amérique (les divers États de l’Amérique du Sud venaient de proclamer leur indépendance). Nous avons eu le plaisir de prévoir cet événement et la bonne fortune de le préparer. » Ainsi, La Fayette se félicite de l’émancipation de l’Amérique du Sud, et il ne songe à aucune restriction dans son espoir. Que répond Jefferson ? ce que Washington eût répondu ; il modère prudemment la joie de son ami : « Je me joins sincèrement à vos vœux pour l’émancipation de l’Amérique du Sud. Je doute peu qu’elle ne parvienne à se délivrer du joug étranger ; mais le résultat de mes observations ne m’autorise pas à espérer que ces provinces soient capables d’établir et de

  1. Tome V, page 99.
  2. Tome V, page 476.