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pensablement qu’à la garantie de certains droits publics et personnels ; et que les variations du pouvoir exécutif, compatibles avec ces droits, ne sont pour moi qu’une combinaison secondaire ! » De Hambourg, du Holstein, de la Hollande, où successivement il séjourne avant sa rentrée en France, toutes ses lettres si vives, si généreuses, et respirant, pour ainsi dire, une seconde jeunesse, expriment en cent façons, à travers leur sève, les dispositions mûres et les opinions rassises qu’on a droit d’attendre de l’expérience d’une vie de quarante ans. Il se refuse à rentrer par un biais dans les choses publiques : « Rien, écrit-il (octobre 1797) à un ami qui semblait l’y pousser, rien n’a été si public que ma vie, ma conduite, mes opinions, mes discours, mes écrits. Cet ensemble, soit dit entre nous, en vaut bien un autre ; tenons-nous-y, sans caresser l’opinion quelconque du moment. Ceux qui veulent me perfectionner dans un sens ou dans un autre ne peuvent s’en tirer qu’avec des erreurs, des inconséquences et des repentirs. J’ai fait beaucoup de fautes sans doute, parce que j’ai beaucoup agi, et c’est pour cela que je ne veux pas y ajouter ce qui me paraît fautif.. Il en résulte qu’à moins d’une très-grande occasion de servir à ma manière la liberté et mon pays, ma vie politique est finie. Je serai pour mes amis plein de vie, et pour le public une espèce de tableau de muséum ou de livre de bibliothèque. » Jamais, sans doute, son cœur ne se sentit plus jeune ; les excès qui ont dégoûté de la liberté les demi-amateurs, étant encore plus opposés à cette sainte liberté que le despotisme, ne l’ont pas guéri, lui, de son idéal amour ; mais il apprécie la société, son égoïsme, son peu de ressort généreux. Il est curieux de l’entendre en maint endroit ; un moraliste ne dirait pas autrement ni mieux :« Comme l’égoïsme public, écrit-il à madame de Tessé (Utrecht, 1799), se manifeste en poltronnerie pour ne pas faire le bien malgré les gouvernants, et en amour-propre pour ne le jamais faire avec eux, il en résulte que les hommes qui ont le pouvoir ne sont point in-