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et du maintien du prisonnier ; il est vrai que le sentiment du mépris a garanti son cœur du malheur de haïr. Quels qu’aient été les raffinements de la vengeance et les choix exprès de la cour, vous savez que sa manière en général est assez imposante.... » Une telle façon d’endurer le martyre politique vaut bien celle de l’excellent Pellico[1].

Dans un écrit intitulé Souvenirs au sortir de prison[2], La Fayette récapitule et rassemble ses propres sentiments mûris, ses jugements des hommes au moment de la délivrance, et la situation sociale tout entière : c’est une pièce historique bien ferme et de la plus réelle valeur. On l’y voit, et en général dans tous ses écrits et toutes ses lettres de 97 à 1814 on le voit appréciant les choses sans illusion, les pénétrant, les analysant en tous sens avec sagacité, et ne se préoccupant exclusivement d’aucune forme politique. Il serait prêt volontiers à se rallier à la Constitution de l’an III : « Les malheurs arrivés sous le régime républicain de l’an III, dit-il, ne peuvent rien préjuger contre lui, puisqu’ils tiennent à des causes tout autres que son organisation constitutionnelle. » Pourtant, à peine délivré par l’intervention du Directoire, il a à s’exprimer sur les mesures de fructidor, et sa première parole est pour les réprouver. Car ce qu’il veut avant tout, c’est l’esprit et la pratique de la liberté, de la justice : « Quel scandale, nous dit-il en propres termes, bien qu’à demi-voix[3], si j’avais avoué que, dans l’organisation sociale, je ne tiens indis-

  1. Chez celui-ci, en effet, l’humilité chrétienne, au-dessus de laquelle, comme beauté morale, il n’y a rien, a pourtant pris la forme d’une âme plus tendre et douce que vigoureuse, et, plus qu’il n’était nécessaire à l’angélique attitude de la victime, ce que j’appelle le généreux humain y a péri. Ce généreux humain éclate dans tout son ressort chez La Fayette captif, et non sans un auguste sentiment de déisme qui y fait ciel. Madame de La Fayette introduit à côté le christianisme pratique, fervent, mais un christianisme qui accepte et qui veut le généreux.
  2. Tome IV.
  3. Souvenirs au sortir de prison.