Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des affections générales et dans celui de l’intelligence, ne manqueront jamais au monde, n’y manqueront pas plus que la corruption, l’égoïsme et l’influence masquée de toutes les roueries. Sans doute chaque génération nouvelle vient verser comme un rafraîchissement de sang vierge et pur dans la masse plus qu’à demi gâtée ; les ardeurs s’éteignent et se rallument sans cesse, le flambeau des espérances et des illusions se perpétue :

Et, quasi cursores, vitaï lampada tradunt.
En un mot, tant que le monde va et dure, il ne saurait être destitué de la vie et de l’amour.

Mais aujourd’hui, là même où, en dehors des cadres réguliers et du train régnant de la société, il y a incontestablement système philosophique élevé, et à la fois chaleur de cœur, de conviction, il n’y a plus suite directe et immédiate des idées de la Révolution française. Voyez l’école de ceux qui s’en sont faits les historiens les plus profonds et les plus religieux, l’école de MM. Buchez et Roux ; ils comprennent, ils interprètent à leur manière, ils étendent et transforment les théories de leurs plus hardis devanciers. Avec eux, historiens dogmatiques, dès qu’ils prennent la parole en leur propre nom, on se sent entrer dans un cycle tout nouveau. De même, lorsqu’on aborde la philosophie religieuse et sociale de MM. Leroux et Reynaud, les encyclopédistes de nos jours : ils procèdent de la Révolution française et de la philosophie duxviiie siècle, assurément ; mais de combien d’autres devanciers ils procèdent également, et avec quels développements particuliers et considérables ! C’est autant et plus encore chez eux la noble ambition de fonder, que le filial dessein de poursuivre.

Ainsi, pour revenir à l’occasion et au point de départ de ces considérations, La Fayette, venu en tête de la Révolution française, est mort en même temps qu’elle a fini, et sa vie tout entière la mesure.